RPs de Constant
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Julien Offray- Nombre de messages : 265
Titre : Maître
Némésis : Refus
Date d'inscription : 15/11/2007
Prolégomènes à l'hermétisme philosophique.
Lieu : Place publique de Montpellier, gargote languedocienne
Personnage impliqué : Constant Corteis (appelé Julien Offray à cette époque)
Date : Janvier 1456
Cadre : Dans ce RP, Constant se plie à la peine infligée par l'Église Aristotélicienne lors de son procès de Rome, à savoir faire l'apologie publique de la Sainte Institution...
_______
Cela faisait désormais un certain temps que Julien s'était vu imposer la tâche de faire l'apologie publique de l'Eglise Aristotélicienne.
Cette contrainte constituait l'essentiel de la condamnation qui avait été la sienne à l'issue de son procès à Rome.
Au départ, Julien était parti sur l'idée de prendre très au sérieux cette petite prédication, il n'avait pas les moyens de soutenir durablement une opposition radicale à l'Eglise, et souhaitait rentrer quelque peu dans le rang pour un certain temps.
De plus, il voyait en cela l'occasion rêvée de s'offrir le luxe d'une facétie cocasse.
De fait, Julien avait une bien piètre estime des capacités intellectuelles des représentants de l'Eglise, encore que le Languedoc soit assez épargné par le phénomène d'inertie mentale de rigueur dans le milieu clérical.
Il avait donc pensé qu'en s'appliquant un brin il parviendrait sans aucun problème à mettre sur pied un prêche beaucoup plus convaincant que les galimatias informes que le curé moyen éructe au nez de ses paroissiens, sans pudeur ni respect pour l'homme en tant qu'animal rationnel, durant la célébration hebdomadaire de l'esclavage intellectuel légitime.
Mais il avait gravement sous estimé un paramètre.
Contrairement à ce qu'il avait récemment affirmé à Monseigneur Kad, il n'était pas un homme de conviction. Entendons par là qu'il avait la sensation de ne jamais prononcer quoique ce soit qui ait une véritable valeur philosophique intrinsèque, raison pour laquelle il n'était pas vraiment capable d'exprimer les convictions qui étaient les siennes.
Julien devait ce trait de caractère à une exigence métaphysique maladive, héritée de son mentor Poitevin, par laquelle il était parvenu à dissoudre les apories de la raison pure dans l'acide de la précision phénoménologique, sans pour autant verser dans le solipsisme démissionnaire.
Il ne pouvait donc en aucun cas faire l'apologie sincère de l'insolence philosophique qu'était cette métaphysique du pauvre.
Il allait devoir se contenter d'une nouvelle démonstration de prolixité verbeuse, un de ces discours dont la rhétorique masque à peine la vacuïté galopante, une de ces gigantesques agglomérations sémantiques auxquelles il prenait un plaisir dont il n'était pas très fier.
Malgré la conscience aigue qu'il avait du fait qu'il s'apprêtait à parler pour ne rien dire, sans même vraiment savoir où il allait diriger ses phrases, il choisit l'endroit le plus exposé pour prononcer son petit discours.
Il se posta donc devant le château de Montpellier, à une heure de grande affluence, à l'endroit où se tiennent traditionnellement les débats politiques entre citoyens du Languedoc.
Il fit en sorte de capter l'attention des personnes présentes en faisant de grands gestes, afin de pouvoir prendre la parole.
Il prit toutefois un soin minutieux à ne pas discerner les personnes qui composeraient son auditoire, car il aimait se sentir seul lorsqu'il élucubrait au radar comme il allait tenter de le faire, et seul l'anonymat d'une foule indistincte lui permettrait de parvenir à négliger la présence concrète de ses auditeurs.
Bien ! Tout d'abord, bonjour à tous !
Vous vous demandez probablement pourquoi je bats frénétiquement des membres supérieurs comme un épouvantail dans le mistral, rassurez vous, je n'ai pas encore définitivement tourné la carte, j'ai simplement une petite annonce à vous faire.
Enfin, ce n'est pas à proprement parler une annonce, mais vous verrez bien.
D'abord, les présentations.
Pour ceux qui ne me connaîtraient pas, je me nomme Julien Offray, je suis actuellement celui qui s'occupe d'une bonne partie de la gestion financière de ce comté.
Je suis bailli, plus précisément. Mais cela n'a aucune espèce d'importance pour ce qui m'amène devant vous en cet instant, je me permettrai donc de ne pas submerger votre attention bienveillante de détails dont l'inutilité serait parfaitement comparable à l'intensité de l'impression de dégénérescence intellectuelle que vous ne manquer sûrement pas de ressentir me concernant.
Je tâcherai donc, nonobstant ma propension maladive à l'épithète inutile et aux développements boursouflés, de vous exprimer clairement l'objet de ma démarche.
Je ne suis donc pas là en tant que bailli, pas de risque que je vous assène avec la malveillance avide du brigand solitaire rôdant dans les bois livides par la pâleur blafarde d'une nuit sans lune dans le but inavouable mais pourtant affiché de détrousser le malheureux passant débonnaire de ses objets, son argent, voire même de sa vie dans les cas les plus tragiques, une litanie de chiffres dont strictement tout le monde se fiche.
Concision, concision !
Tel sera mon maître mot.
Je suis ici pour vous parler de l'Eglise Aristotélicienne.
Avant de commencer, je souhaiterais débuter par une brève parenthèse, durant laquelle je cèderai à la tentation voluptueuse de vous raconter quelque peu ma vie passionnante, dans la mesure où cela vous aidera à saisir ma démarche.
J'ai été il y a peu mis en procès à Rome, en raison d'un regrettable dérapage verbal dont mon habituel penchant pour le calibrage draconien et la construction rationnelle, bien loin des errements inintelligibles des mauvais orateurs victimes de l'illusion que l'improvisation peut être digne d'intérêt, de mes prises de parole n'a pas suffit à me prémunir.
Il se trouve donc que j'ai été condamné à faire l'apologie publique de la Sainte Eglise Aristotélicienne Apostolique et Universelle.
Me voilà donc au pied du mur !
Je pense qu'il est préférable que j'adopte un ordre analytique pour ce petit discours.
L'ordre géométrique, si apte à clarifier les choses dans certains cas, n'aurait que peu d'intérêt ici, je vous livrerai donc le schème fidèle du cheminement intellectuel le long duquel se sont glissées les investigations philosophiques dont je vous livre le bref et modeste résultat.
Mon premier réflexe, à la lecture de cette sentence, a été de penser faire une démonstration de l'existence de Dieu, qui pourrait servir de fondement rationnel à la légitimité des commandements divins.
Je vous le dis sans détour, l'échec fut cinglant...
Cinglant, mais riche d'enseignements !
Je considère que la démonstration purement rationnelle de l'existence de Dieu est impossible.
J'entends par là qu'il est impossible d'établir fermement la nécessaire existence de Dieu au terme d'un raisonnement qui ne laisserait jamais place à la contradiction.
Vous allez me dire : Et l'argument Aristotélicien de l'impossibilité d'une régression à l'infini le long de l'enchaînement causal de l'ontologie dynamique ?
Je le clame sans détour : il est insuffisant !
Je vais vous montrer pourquoi.
Résumons brièvement la teneur de ce raisonnement.
Il s'agit de dire que toute chose semble avoir une cause, mais que répété de manière systématique, cette considération mérite une nuance.
En gros, on ne peut pas imaginer remonter infiniment le long de l'échelle étiologique, il faut s'arrêter !
Il faut donc nécessairement imaginer l'existence d'un être qui soit cause de tout, un être maximum, dont la perfection garantit l'omnipotence et l'omniscience.
Pourquoi ce raisonnement n'est il pas concluant ?
Car il sort du cadre purement rationnel pour s'appuyer sur l'évidence, et donc sur la subjectivité.
Il est donc impossible de réduire un Pyrrhonien au silence sur la base de cet argument, car l'évidence peut être contestée.
Voilà ce qui fut mon problème principal, car cela semblait être un obstacle majeur à la tâche que je m'étais fixé.
J'ai donc du abandonner l'idée d'une démonstration formelle et rationnelle de l'existence de Dieu.
Ce constat m'a laissé désorienté durant quelques jours, jusqu'à ce que je sois frappé par quelque chose.
J'étais en train de chercher une réponse à mon tracas dans les textes sacrés, et mes lectures m'avaient porté vers le petit texte beaucoup trop méconnu qui traite des deux sources de la foi.
Il est fait mention dans ce petit opuscule de deux sources de la foi, qui se complètent : la foi rationnelle et la foi révélée.
Voilà qui m'a tout de suite mis la puce à l'oreille, si j'ose dire !
Car de fait, qu'est ce que la foi révélée sinon une légitimation ontologique de l'évidence ?
Il n'y a pas de raisonnement possible sans un ancrage concret dans l'expérience, et c'est de cette vérité générale et constitutive que se sert Aristote lorsqu'il fait référence à l'évidence.
L'évidence est ce pont métaphysique qui permet de relier l'intellect à la foi.
Comment donc ne pas voir que l'Eglise, dans sa structure même, fondée sur l'unité dans la dualité, me donne la réponse !
Mon projet n'avait tout simplement aucun sens ! Un raisonnement, si loin qu'il aille dans l'abstraction, ne saurait être orphelin d'une foi pure et saine.
Nous avons deux prophètes, Aristote nous a fait découvrir la raison, mais Christos a complété son message en nous faisant sympathiser avec la foi véritable et révélée sans laquelle nulle réflexion n'est complète.
J'avais donc tenté de comprendre les choses en faisant l'économie d'un des deux pôles de la dualité concordante dont les racines de l'Eglise se nourrissent.
C'était absurde, et je suis maintenant guéri de cette prétention.
Le recours à l'évidence, et donc en définitive à la foi, n'est pas une carence, mais une nécessité pour tout raisonnement.
Bien loin d'être la faiblesse qui met la théologie à portée de la critique sceptique, ce recours à la révélation est le point d'Archimède de la théologie, et nul ne peut rien comprendre sans une foi ferme et résolue.
Ne combattons pas les contradicteurs sur le terrain d'un raisonnement privé de sa substantifique moelle, mettons les plutôt en face de l'évidence de la révélation !
Le raisonnement par lui même ne peut être que l'outil magnifique de la réduction de l'espace transcendant qui sépare la généralité du sentiment, par laquelle le saut métaphysique sur lequel se fonde la connaissance est mis à la portée des hommes malades d'une foi rabougrie !
Voilà chers amis ! J'en arrive au terme de mon intervention.
Je vous remercie de l'attention que vous m'avez permis de vous emprunter, j'espère en avoir fait bon usage.
C'était une bonne chose de faite, et Julien était assez satisfait de ce qu'il avait réussi à dire.
Bon... ça lui paraissait complètement absurde du début à la fin, mais il était confiant sur le fait que nul ne le remarquerait.
Les gens croyaient à l'Aristotélisme, voilà qui est bien la porte ouverte à toute les fenêtres de la divagation philosophique !
Il n'avait absolument pas fait attention à la réaction de son auditoire.
Il avait décidé d'adopter un rythme de diction tonique et très rapide, de manière à compenser le caractère monstrueusement alambiqué du fond par une sorte d'idiomatisme immanent d'une forme théâtrale.
Il ne s'attendait pas vraiment à avoir des réactions, il n'avait pas pris la parole pour se faire comprendre, bien au contraire.
Personnage impliqué : Constant Corteis (appelé Julien Offray à cette époque)
Date : Janvier 1456
Cadre : Dans ce RP, Constant se plie à la peine infligée par l'Église Aristotélicienne lors de son procès de Rome, à savoir faire l'apologie publique de la Sainte Institution...
_______
Cela faisait désormais un certain temps que Julien s'était vu imposer la tâche de faire l'apologie publique de l'Eglise Aristotélicienne.
Cette contrainte constituait l'essentiel de la condamnation qui avait été la sienne à l'issue de son procès à Rome.
Au départ, Julien était parti sur l'idée de prendre très au sérieux cette petite prédication, il n'avait pas les moyens de soutenir durablement une opposition radicale à l'Eglise, et souhaitait rentrer quelque peu dans le rang pour un certain temps.
De plus, il voyait en cela l'occasion rêvée de s'offrir le luxe d'une facétie cocasse.
De fait, Julien avait une bien piètre estime des capacités intellectuelles des représentants de l'Eglise, encore que le Languedoc soit assez épargné par le phénomène d'inertie mentale de rigueur dans le milieu clérical.
Il avait donc pensé qu'en s'appliquant un brin il parviendrait sans aucun problème à mettre sur pied un prêche beaucoup plus convaincant que les galimatias informes que le curé moyen éructe au nez de ses paroissiens, sans pudeur ni respect pour l'homme en tant qu'animal rationnel, durant la célébration hebdomadaire de l'esclavage intellectuel légitime.
Mais il avait gravement sous estimé un paramètre.
Contrairement à ce qu'il avait récemment affirmé à Monseigneur Kad, il n'était pas un homme de conviction. Entendons par là qu'il avait la sensation de ne jamais prononcer quoique ce soit qui ait une véritable valeur philosophique intrinsèque, raison pour laquelle il n'était pas vraiment capable d'exprimer les convictions qui étaient les siennes.
Julien devait ce trait de caractère à une exigence métaphysique maladive, héritée de son mentor Poitevin, par laquelle il était parvenu à dissoudre les apories de la raison pure dans l'acide de la précision phénoménologique, sans pour autant verser dans le solipsisme démissionnaire.
Il ne pouvait donc en aucun cas faire l'apologie sincère de l'insolence philosophique qu'était cette métaphysique du pauvre.
Il allait devoir se contenter d'une nouvelle démonstration de prolixité verbeuse, un de ces discours dont la rhétorique masque à peine la vacuïté galopante, une de ces gigantesques agglomérations sémantiques auxquelles il prenait un plaisir dont il n'était pas très fier.
Malgré la conscience aigue qu'il avait du fait qu'il s'apprêtait à parler pour ne rien dire, sans même vraiment savoir où il allait diriger ses phrases, il choisit l'endroit le plus exposé pour prononcer son petit discours.
Il se posta donc devant le château de Montpellier, à une heure de grande affluence, à l'endroit où se tiennent traditionnellement les débats politiques entre citoyens du Languedoc.
Il fit en sorte de capter l'attention des personnes présentes en faisant de grands gestes, afin de pouvoir prendre la parole.
Il prit toutefois un soin minutieux à ne pas discerner les personnes qui composeraient son auditoire, car il aimait se sentir seul lorsqu'il élucubrait au radar comme il allait tenter de le faire, et seul l'anonymat d'une foule indistincte lui permettrait de parvenir à négliger la présence concrète de ses auditeurs.
Bien ! Tout d'abord, bonjour à tous !
Vous vous demandez probablement pourquoi je bats frénétiquement des membres supérieurs comme un épouvantail dans le mistral, rassurez vous, je n'ai pas encore définitivement tourné la carte, j'ai simplement une petite annonce à vous faire.
Enfin, ce n'est pas à proprement parler une annonce, mais vous verrez bien.
D'abord, les présentations.
Pour ceux qui ne me connaîtraient pas, je me nomme Julien Offray, je suis actuellement celui qui s'occupe d'une bonne partie de la gestion financière de ce comté.
Je suis bailli, plus précisément. Mais cela n'a aucune espèce d'importance pour ce qui m'amène devant vous en cet instant, je me permettrai donc de ne pas submerger votre attention bienveillante de détails dont l'inutilité serait parfaitement comparable à l'intensité de l'impression de dégénérescence intellectuelle que vous ne manquer sûrement pas de ressentir me concernant.
Je tâcherai donc, nonobstant ma propension maladive à l'épithète inutile et aux développements boursouflés, de vous exprimer clairement l'objet de ma démarche.
Je ne suis donc pas là en tant que bailli, pas de risque que je vous assène avec la malveillance avide du brigand solitaire rôdant dans les bois livides par la pâleur blafarde d'une nuit sans lune dans le but inavouable mais pourtant affiché de détrousser le malheureux passant débonnaire de ses objets, son argent, voire même de sa vie dans les cas les plus tragiques, une litanie de chiffres dont strictement tout le monde se fiche.
Concision, concision !
Tel sera mon maître mot.
Je suis ici pour vous parler de l'Eglise Aristotélicienne.
Avant de commencer, je souhaiterais débuter par une brève parenthèse, durant laquelle je cèderai à la tentation voluptueuse de vous raconter quelque peu ma vie passionnante, dans la mesure où cela vous aidera à saisir ma démarche.
J'ai été il y a peu mis en procès à Rome, en raison d'un regrettable dérapage verbal dont mon habituel penchant pour le calibrage draconien et la construction rationnelle, bien loin des errements inintelligibles des mauvais orateurs victimes de l'illusion que l'improvisation peut être digne d'intérêt, de mes prises de parole n'a pas suffit à me prémunir.
Il se trouve donc que j'ai été condamné à faire l'apologie publique de la Sainte Eglise Aristotélicienne Apostolique et Universelle.
Me voilà donc au pied du mur !
Je pense qu'il est préférable que j'adopte un ordre analytique pour ce petit discours.
L'ordre géométrique, si apte à clarifier les choses dans certains cas, n'aurait que peu d'intérêt ici, je vous livrerai donc le schème fidèle du cheminement intellectuel le long duquel se sont glissées les investigations philosophiques dont je vous livre le bref et modeste résultat.
Mon premier réflexe, à la lecture de cette sentence, a été de penser faire une démonstration de l'existence de Dieu, qui pourrait servir de fondement rationnel à la légitimité des commandements divins.
Je vous le dis sans détour, l'échec fut cinglant...
Cinglant, mais riche d'enseignements !
Je considère que la démonstration purement rationnelle de l'existence de Dieu est impossible.
J'entends par là qu'il est impossible d'établir fermement la nécessaire existence de Dieu au terme d'un raisonnement qui ne laisserait jamais place à la contradiction.
Vous allez me dire : Et l'argument Aristotélicien de l'impossibilité d'une régression à l'infini le long de l'enchaînement causal de l'ontologie dynamique ?
Je le clame sans détour : il est insuffisant !
Je vais vous montrer pourquoi.
Résumons brièvement la teneur de ce raisonnement.
Il s'agit de dire que toute chose semble avoir une cause, mais que répété de manière systématique, cette considération mérite une nuance.
En gros, on ne peut pas imaginer remonter infiniment le long de l'échelle étiologique, il faut s'arrêter !
Il faut donc nécessairement imaginer l'existence d'un être qui soit cause de tout, un être maximum, dont la perfection garantit l'omnipotence et l'omniscience.
Pourquoi ce raisonnement n'est il pas concluant ?
Car il sort du cadre purement rationnel pour s'appuyer sur l'évidence, et donc sur la subjectivité.
Il est donc impossible de réduire un Pyrrhonien au silence sur la base de cet argument, car l'évidence peut être contestée.
Voilà ce qui fut mon problème principal, car cela semblait être un obstacle majeur à la tâche que je m'étais fixé.
J'ai donc du abandonner l'idée d'une démonstration formelle et rationnelle de l'existence de Dieu.
Ce constat m'a laissé désorienté durant quelques jours, jusqu'à ce que je sois frappé par quelque chose.
J'étais en train de chercher une réponse à mon tracas dans les textes sacrés, et mes lectures m'avaient porté vers le petit texte beaucoup trop méconnu qui traite des deux sources de la foi.
Il est fait mention dans ce petit opuscule de deux sources de la foi, qui se complètent : la foi rationnelle et la foi révélée.
Voilà qui m'a tout de suite mis la puce à l'oreille, si j'ose dire !
Car de fait, qu'est ce que la foi révélée sinon une légitimation ontologique de l'évidence ?
Il n'y a pas de raisonnement possible sans un ancrage concret dans l'expérience, et c'est de cette vérité générale et constitutive que se sert Aristote lorsqu'il fait référence à l'évidence.
L'évidence est ce pont métaphysique qui permet de relier l'intellect à la foi.
Comment donc ne pas voir que l'Eglise, dans sa structure même, fondée sur l'unité dans la dualité, me donne la réponse !
Mon projet n'avait tout simplement aucun sens ! Un raisonnement, si loin qu'il aille dans l'abstraction, ne saurait être orphelin d'une foi pure et saine.
Nous avons deux prophètes, Aristote nous a fait découvrir la raison, mais Christos a complété son message en nous faisant sympathiser avec la foi véritable et révélée sans laquelle nulle réflexion n'est complète.
J'avais donc tenté de comprendre les choses en faisant l'économie d'un des deux pôles de la dualité concordante dont les racines de l'Eglise se nourrissent.
C'était absurde, et je suis maintenant guéri de cette prétention.
Le recours à l'évidence, et donc en définitive à la foi, n'est pas une carence, mais une nécessité pour tout raisonnement.
Bien loin d'être la faiblesse qui met la théologie à portée de la critique sceptique, ce recours à la révélation est le point d'Archimède de la théologie, et nul ne peut rien comprendre sans une foi ferme et résolue.
Ne combattons pas les contradicteurs sur le terrain d'un raisonnement privé de sa substantifique moelle, mettons les plutôt en face de l'évidence de la révélation !
Le raisonnement par lui même ne peut être que l'outil magnifique de la réduction de l'espace transcendant qui sépare la généralité du sentiment, par laquelle le saut métaphysique sur lequel se fonde la connaissance est mis à la portée des hommes malades d'une foi rabougrie !
Voilà chers amis ! J'en arrive au terme de mon intervention.
Je vous remercie de l'attention que vous m'avez permis de vous emprunter, j'espère en avoir fait bon usage.
C'était une bonne chose de faite, et Julien était assez satisfait de ce qu'il avait réussi à dire.
Bon... ça lui paraissait complètement absurde du début à la fin, mais il était confiant sur le fait que nul ne le remarquerait.
Les gens croyaient à l'Aristotélisme, voilà qui est bien la porte ouverte à toute les fenêtres de la divagation philosophique !
Il n'avait absolument pas fait attention à la réaction de son auditoire.
Il avait décidé d'adopter un rythme de diction tonique et très rapide, de manière à compenser le caractère monstrueusement alambiqué du fond par une sorte d'idiomatisme immanent d'une forme théâtrale.
Il ne s'attendait pas vraiment à avoir des réactions, il n'avait pas pris la parole pour se faire comprendre, bien au contraire.
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Prosopopée des astres
Lieu : Une ferme quelque part en Languedoc (pas très important en fait), Gargote Languedocienne
Personnages : Constant Corteis (à cette époque appelé Julien Offray)
Date : Début du mois de Juillet 1456
Cadre : Ce RP marque la fin du séjour de Constant Corteis en Languedoc, il était initialement venu pour récupérer des courriers envoyés par Odoacre au chateau de Calvisson, mais n'a jamais vraiment eu envie de s'y rendre.
_______________________________________________________
Prologue en forme de poire.
"Je suis venu au monde très jeune dans un temps très vieux."
Erik Satie
Cela faisait maintenant trop longtemps que Julien ne savait pas quoi faire.
Et, nonobstant une endurance à l’inaction peu commune, cette situation commençait à l’agacer quelque peu.
Et pourtant il avait plusieurs choses précises à faire depuis de nombreux jours. Mais il n’en avait pas vraiment l’envie.
Alors il flânait ça et là dans le comté, il tournait autour du pot en attendant de se décider à faire ce à quoi il s’était engagé.
Il ne s’ennuyait pas pourtant. On s’ennuie rarement quand on doit trouver chaque jour un lieu différent où dormir. Le passage de Julien à la tête du comté de Languedoc avait été suffisamment éphémère pour lui assurer un salutaire anonymat auprès du peuple.
En règle générale, Julien parvenait à se faire héberger, n’importe où d’ailleurs. Il suffisait de sympathiser autour d’une boisson quelconque, ce qui n’était jamais bien difficile. D’autant plus qu’il appréciait la conversation des gens du peuple, qui n’était pas beaucoup moins intéressante que les querelles scolastiques ou les arguties politiciennes, et avait le mérite de garder une saine humilité.
Ce soir là, Julien avait réussi à se voir accorder le bénéfice d’une petite chambre, perdue dans le recoin d’une petite fermette mal bâtie. C’était bien là le plus qu’il pouvait espérer et cela lui convenait parfaitement.
Il avait en outre commis une grave erreur, en acceptant de s’accorder à l’enthousiasme franc et sincère que son hôte du jour déployait à vider les verres de boissons alcoolisées en tous genres.
L’ébriété n’avait jamais vraiment posé un problème de conscience insoluble à Julien, mais les choses avaient considérablement évolué depuis Genève.
Et là il avait vraiment trop bu.
Il était allongé sur son lit, les yeux clos. A force de martyriser son esprit rendu fragile par la réception frontale d’une tour de pierre à coups de substances spirituellement corrosives, il en arrivait à ne plus maîtriser ses mouvements, à perdre la force d’inhiber ses gestes.
C’est assez problématique lorsque l’on se trouve dans une pièce remplie d’objets de perception divers et variés, lesquels invitent tous à une multitude d’actions possibles. Sans entrer dans trop de détails, bornons nous à dire que la propension à la migraine carabinée n’y restait pas insensible…
Il restait donc allongé, dans le noir, les yeux clos.
C’était, du reste, l’attitude la plus adaptée à quelqu’un qui avait décidé de dormir...
Personnages : Constant Corteis (à cette époque appelé Julien Offray)
Date : Début du mois de Juillet 1456
Cadre : Ce RP marque la fin du séjour de Constant Corteis en Languedoc, il était initialement venu pour récupérer des courriers envoyés par Odoacre au chateau de Calvisson, mais n'a jamais vraiment eu envie de s'y rendre.
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Prologue en forme de poire.
"Je suis venu au monde très jeune dans un temps très vieux."
Erik Satie
Cela faisait maintenant trop longtemps que Julien ne savait pas quoi faire.
Et, nonobstant une endurance à l’inaction peu commune, cette situation commençait à l’agacer quelque peu.
Et pourtant il avait plusieurs choses précises à faire depuis de nombreux jours. Mais il n’en avait pas vraiment l’envie.
Alors il flânait ça et là dans le comté, il tournait autour du pot en attendant de se décider à faire ce à quoi il s’était engagé.
Il ne s’ennuyait pas pourtant. On s’ennuie rarement quand on doit trouver chaque jour un lieu différent où dormir. Le passage de Julien à la tête du comté de Languedoc avait été suffisamment éphémère pour lui assurer un salutaire anonymat auprès du peuple.
En règle générale, Julien parvenait à se faire héberger, n’importe où d’ailleurs. Il suffisait de sympathiser autour d’une boisson quelconque, ce qui n’était jamais bien difficile. D’autant plus qu’il appréciait la conversation des gens du peuple, qui n’était pas beaucoup moins intéressante que les querelles scolastiques ou les arguties politiciennes, et avait le mérite de garder une saine humilité.
Ce soir là, Julien avait réussi à se voir accorder le bénéfice d’une petite chambre, perdue dans le recoin d’une petite fermette mal bâtie. C’était bien là le plus qu’il pouvait espérer et cela lui convenait parfaitement.
Il avait en outre commis une grave erreur, en acceptant de s’accorder à l’enthousiasme franc et sincère que son hôte du jour déployait à vider les verres de boissons alcoolisées en tous genres.
L’ébriété n’avait jamais vraiment posé un problème de conscience insoluble à Julien, mais les choses avaient considérablement évolué depuis Genève.
Et là il avait vraiment trop bu.
Il était allongé sur son lit, les yeux clos. A force de martyriser son esprit rendu fragile par la réception frontale d’une tour de pierre à coups de substances spirituellement corrosives, il en arrivait à ne plus maîtriser ses mouvements, à perdre la force d’inhiber ses gestes.
C’est assez problématique lorsque l’on se trouve dans une pièce remplie d’objets de perception divers et variés, lesquels invitent tous à une multitude d’actions possibles. Sans entrer dans trop de détails, bornons nous à dire que la propension à la migraine carabinée n’y restait pas insensible…
Il restait donc allongé, dans le noir, les yeux clos.
C’était, du reste, l’attitude la plus adaptée à quelqu’un qui avait décidé de dormir...
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Prosopopée des astres
Préambule : Comme on marcherait en rond dans un petit jardin.
"Il n'y a pire chemin que de monter et descendre l'escalier d'autrui."
Dante Alighieri
Ploc.
Ploc ?
Ploc.
Quoi ploc ?
Ploc.
Comment ça ploc ? Pourquoi ploc ?
Plic.
…
Julien se réveilla. Il avait entendu quelque chose goutter. Cela paraissait d’ailleurs parfaitement incongru, sachant qu’il avait prit un soin particulier à éloigner de lui toute forme de liquide, mais on ne bazarde pas l’évidence sensible si facilement.
Il se redressa, et s’assit sur le bord du lit. Il était tout habillé, il avait même ses chausses… Et il avait les pieds dans l’eau.
Mais le plus amusant c’est qu’il ne trouvait pas ça fondamentalement incongru. Il barbota un moment avec la mince couche de liquide dans laquelle baignaient ses pieds, puis entreprit nonchalamment d’observer le reste de la pièce pour voir s’il y avait une explication concrète à tout cela.
A son étonnante absence de surprise, la Pièce était à présent dix fois plus grande que la chambre initiale. Le fait que, à cet instant précis, il n’ait absolument plus aucun souvenir de la chambre initiale en question joue probablement un rôle non négligeable dans le fait que cela ne le surprenne pas, au passage.
Un homme était penché sur une table, jonchée de débris de verres de toutes tailles.
Julien le reconnut tout de suite et l’interpela sur un ton parfaitement anodin :
Bonjour, Aristote ! Vous allez bien ?
Aristote se redressa, il avait l’ait très contrarié :
- Non, j’ai cassé ma clepsydre !
- Ventre saint gris ! Voilà qui explique que nous pataugions dans la flotte…
- Bah ce n’est pas de l’eau, c’est simplement de l’urine.
Julien allait lâcher une autre de ces approbations teintées de la plus poignante banalité, lorsqu’il finit par donner un sens à ce qu’il venait d’entendre :
De l’urine ??
Mais on a jamais mis de l’urine dans une clepsydre !
- Aristote haussa un sourcil avec un air de sincère intérêt :
- Ah ?
Julien ne répondit rien. C’était trop idiot, et trop désarmant comme questionnement. Il n’avait jamais compris Aristote de toute manière.
Il cessa immédiatement de patauger en revanche, et regarda ses chausses avec un air désabusé :
- Mais… hummm…
Vous avez quand même conscience que c’est un tantinet dégueulasse ?
- Oui… je ne sais pas… peut être…
De toute façon nous ne restons pas ici !
- Ah ?
- Non ! Nous partons visiter le ciel !
La proposition avait de quoi surprendre. Il est fort probable que Julien se gratta un peu la tête à cet instant précis, avant de reprendre le fil de son interrogatoire, en l’occurrence assez sceptique…
- Mais, vous comptez nous y emmener par quel chemin ?
- Quelle question ! Par là !
Il pointait son doigt vers le haut.
Et en effet, le toit de la maison avait disparu, et l’on pouvait voir briller les étoiles d’où ils étaient.
« Ah oui, au temps pour moi », s’exclama Julien, inexplicablement convaincu.
Allons y ! Allons mouiller nos coques dans les ports éternels des espaces infinis !
Et ils montèrent, Aristote en tête, Julien se contentant de le suivre à grand peine dans son ascension frénétique.
Dites ! Pourquoi les espaces éternels ?? Je pensais que l’univers était clos !
L’homme se retourna, mais ce n’était plus Aristote, il avait plus de barbe, des traits plus durs, le nez plus droit et plus marqué, le regard sévère :
Sottises ! L’univers est le tout, s’il le tout devait être clos, il faudrait qu’autre chose vienne le limiter, ne serait ce qu’un espace vide, et il ne serait dès lors plus le tout. Vous suivez ??
Julien suivait, c’était fort simple, très sensé même.
N’écoutez pas les errements nauséabonds des vieux fous, ils parlent pour ne rien dire !
Pensez vous que nous verrons des dieux ? Ils vivent entre les mondes, dans leur infinie félicité. Peut être nous laisseront-ils les voir ? Nous enseignerons ils les secrets de leur sempiternalité ?
Ahhhh, Attention ! Nous déclinons !
En effet, un petit grondement se faisait sentir depuis quelques secondes, qui se matérialisa bien vite en un tremblement violent, sec et soudain, à tel point que Julien, qui ne s’appuyait pourtant sur rien, en perdit l’équilibre, ce qui semblait absurde…
- Qu’est-ce que c’était ?
- Un mouvement de déviation libre des atomes dans leur chute vers le bas absolu !
Mais ne vous occupez pas de cela, vous avez autre chose à faire !
Regardez par là bas ! C’est là que vous vous dirigez !
Julien ne voyait rien par là bas, hormis une immense étendue rouge.
Il avançait vite, sans même le vouloir, il avait dépassé son guide désormais. Il voulut se retourner pour l’interroger encore, mais l’homme avait disparu.
"Il n'y a pire chemin que de monter et descendre l'escalier d'autrui."
Dante Alighieri
Ploc.
Ploc ?
Ploc.
Quoi ploc ?
Ploc.
Comment ça ploc ? Pourquoi ploc ?
Plic.
…
Julien se réveilla. Il avait entendu quelque chose goutter. Cela paraissait d’ailleurs parfaitement incongru, sachant qu’il avait prit un soin particulier à éloigner de lui toute forme de liquide, mais on ne bazarde pas l’évidence sensible si facilement.
Il se redressa, et s’assit sur le bord du lit. Il était tout habillé, il avait même ses chausses… Et il avait les pieds dans l’eau.
Mais le plus amusant c’est qu’il ne trouvait pas ça fondamentalement incongru. Il barbota un moment avec la mince couche de liquide dans laquelle baignaient ses pieds, puis entreprit nonchalamment d’observer le reste de la pièce pour voir s’il y avait une explication concrète à tout cela.
A son étonnante absence de surprise, la Pièce était à présent dix fois plus grande que la chambre initiale. Le fait que, à cet instant précis, il n’ait absolument plus aucun souvenir de la chambre initiale en question joue probablement un rôle non négligeable dans le fait que cela ne le surprenne pas, au passage.
Un homme était penché sur une table, jonchée de débris de verres de toutes tailles.
Julien le reconnut tout de suite et l’interpela sur un ton parfaitement anodin :
Bonjour, Aristote ! Vous allez bien ?
Aristote se redressa, il avait l’ait très contrarié :
- Non, j’ai cassé ma clepsydre !
- Ventre saint gris ! Voilà qui explique que nous pataugions dans la flotte…
- Bah ce n’est pas de l’eau, c’est simplement de l’urine.
Julien allait lâcher une autre de ces approbations teintées de la plus poignante banalité, lorsqu’il finit par donner un sens à ce qu’il venait d’entendre :
De l’urine ??
Mais on a jamais mis de l’urine dans une clepsydre !
- Aristote haussa un sourcil avec un air de sincère intérêt :
- Ah ?
Julien ne répondit rien. C’était trop idiot, et trop désarmant comme questionnement. Il n’avait jamais compris Aristote de toute manière.
Il cessa immédiatement de patauger en revanche, et regarda ses chausses avec un air désabusé :
- Mais… hummm…
Vous avez quand même conscience que c’est un tantinet dégueulasse ?
- Oui… je ne sais pas… peut être…
De toute façon nous ne restons pas ici !
- Ah ?
- Non ! Nous partons visiter le ciel !
La proposition avait de quoi surprendre. Il est fort probable que Julien se gratta un peu la tête à cet instant précis, avant de reprendre le fil de son interrogatoire, en l’occurrence assez sceptique…
- Mais, vous comptez nous y emmener par quel chemin ?
- Quelle question ! Par là !
Il pointait son doigt vers le haut.
Et en effet, le toit de la maison avait disparu, et l’on pouvait voir briller les étoiles d’où ils étaient.
« Ah oui, au temps pour moi », s’exclama Julien, inexplicablement convaincu.
Allons y ! Allons mouiller nos coques dans les ports éternels des espaces infinis !
Et ils montèrent, Aristote en tête, Julien se contentant de le suivre à grand peine dans son ascension frénétique.
Dites ! Pourquoi les espaces éternels ?? Je pensais que l’univers était clos !
L’homme se retourna, mais ce n’était plus Aristote, il avait plus de barbe, des traits plus durs, le nez plus droit et plus marqué, le regard sévère :
Sottises ! L’univers est le tout, s’il le tout devait être clos, il faudrait qu’autre chose vienne le limiter, ne serait ce qu’un espace vide, et il ne serait dès lors plus le tout. Vous suivez ??
Julien suivait, c’était fort simple, très sensé même.
N’écoutez pas les errements nauséabonds des vieux fous, ils parlent pour ne rien dire !
Pensez vous que nous verrons des dieux ? Ils vivent entre les mondes, dans leur infinie félicité. Peut être nous laisseront-ils les voir ? Nous enseignerons ils les secrets de leur sempiternalité ?
Ahhhh, Attention ! Nous déclinons !
En effet, un petit grondement se faisait sentir depuis quelques secondes, qui se matérialisa bien vite en un tremblement violent, sec et soudain, à tel point que Julien, qui ne s’appuyait pourtant sur rien, en perdit l’équilibre, ce qui semblait absurde…
- Qu’est-ce que c’était ?
- Un mouvement de déviation libre des atomes dans leur chute vers le bas absolu !
Mais ne vous occupez pas de cela, vous avez autre chose à faire !
Regardez par là bas ! C’est là que vous vous dirigez !
Julien ne voyait rien par là bas, hormis une immense étendue rouge.
Il avançait vite, sans même le vouloir, il avait dépassé son guide désormais. Il voulut se retourner pour l’interroger encore, mais l’homme avait disparu.
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Prosopopée des astres
Acte I : Naqoyqatsi
"Nul vainqueur ne croit au hasard"
Friedrich Nietzsche
Rouge.
Tout était rouge.
Julien avait finit par atterrir quelque part, sur un sol de terre rouge.
Il n’y avait strictement rien d’autre autour de lui. Plus exactement, il ne discernait rien d’autre. Un vent violent soulevait la terre rouge, tourbillonnant en tous sens. L’on y voyait pas à dix mètres autour de soi.
Ce n’était pas le brun ou l’ocre des terres du sud, c’était un rouge pur, vif, un rouge de sang, plus rouge que le ciel est bleu.
Il faisait chaud, et Julien sentait la poussière cramoisie lui fouetter le corps, lui salir les cheveux et les vêtements. Il ne savait pas où aller.
Il partit sans conviction dans une direction hasardeuse. Pouvait il faire autrement ?
Bientôt, il s’aperçut que le sol était en pente. Voilà qui prouvait au moins que cet étrange univers avait un sens. Il aurait été bien marri de se trouver sur un plan infini !
La pente était douce, et Julien la suivait. Il toucha bientôt le fond.
Au centre de ce qui semblait selon les déductions de Julien être un immense cratère trônait une structure métallique.
Les bourrasques de poussière empêchèrent Julien de la voir de loin, si bien qu'il tomba presque nez à nez avec elle.
C'était une sorte de cage, dont il ne voyait pas le sommet, les immenses barreaux de métal s'élevaient jusqu'à se perdre dans les nuages de fumée rouge qui s'agitaient au dessus.
Les baguettes verticales étaient maintenues solidaires par des renforts horizontaux qui en faisaient le tour, le maillage était suffisamment serré pour qu'il soit impossible d'entrer.
Julien se tenait à quelque pas, et les volutes chtoniennes lui enlevaient la possibilité d'évaluer le diamètre de la cage. Il s'approcha, pensant que la courbure de l'alignement lui permettrait d'estimer rapidement la surface que remplissait cette étonnante construction.
Il put constater, en approchant, que le sol de la cage était jonché de débris en tous genres. Il y avait essentiellement des morceaux de bois, qui semblaient avoir été fracassés violemment. Mais Julien trouva également des choses plus étonnantes, qui absorbèrent bien vite son attention. Aux morceaux de bois brisé se mêlaient de longs fils de boyau, comme des cordes de harpe.
Julien s'accroupit au bord , et passa sa main entre les barreaux pour ramasser une poignée de ces fragments qui jonchaient le sol.
Il s'agissait bien de cordes de harpe, mais pas seulement. L'on y trouvait, pêle-mêle, des morceaux de verre et de pierres précieuses, de l'ambre notamment, qui semblaient avoir été pilés, et beaucoup de cheveux. Il s'agissait de longs cheveux, des cheveux de femmes. Julien en saisit une mèche. Il n'arrivait pas à déterminer leur couleur, ils étaient collés, coagulés même, imbibés de sang séché. Il les reposa avec une pointe de dégoût, et se redressa.
Ce n'est qu'alors qu'il s'aperçut de la présence d'un homme, assis en tailleur au centre de la cage.
Julien le discernait bien, car, étonnamment, l'intérieur de la cage semblait protégé du vent. Bien plus, celui ci semblait tourner autour.
L'homme avait la peau sombre, comme brûlée au soleil, il était vêtu d'un simple pantalon de toile noire. Son corps était couvert de meurtrissures et cicatrices de toutes sortes. Il avait les cheveux noirs, longs, qui descendaient négligemment le long de sa silhouette musclée, jusqu'à traîner par terre.
Julien ne pouvait presque rien dire des traits de son visage. L'homme avait les yeux bandés, cachés par une épaisse bande de tissu noir nouée autour de sa tête.
Julien resta un instant à l'observer. Il finit par s'approcher, et appuya sa main sur un des barreaux de la cage.
A peine Julien toucha-t-il le morceau de métal que l'homme se dressa sur ses pieds, et lui fit face.
Il avait des manières animales, et se tenait accroupi, comme à l'affût, en tournant ses yeux bandés en direction de Julien. De sa main gauche il ramassait des poignées de débris, puis les broyait de son étreinte puissante.
Julien sursauta, et fit deux pas de retrait devant la soudaineté de cette réaction.
A présent l'homme souriait, dévoilant ses dents blanches, étonnamment pointues.
Il prit alors la parole, faisant monter sa lourde voix, grave et éraillée des profondeurs de son corps.
Te voilà enfin. Pourquoi me faire attendre ? Nous détestons l'attente, et tu le sais.
Ouvre moi !
Julien était un petit peu effrayé, et tournait en rond autour de la cage, dans le sens du vent. L'homme le suivait en pivotant doucement, toujours prostré comme un fauve aux aguets.
Ouvre moi, et fais revivre les anciens mondes !
Je suis l'innocence, la cruauté candide, laisse moi sortir !
Laisse moi exhumer les cendres des empires païens, laisse moi restaurer ce monde où personne n'avait honte, où l'on s'aspergeait du sang épanché des taureaux sacrifiés ! Laisse moi vaincre les mauvaises consciences, laisse moi massacrer tes peurs !
Regarde moi !
L'homme se dressa alors, et retira le voile qui masquait son regard.
Cette fois Julien resta figé, il était fasciné et terrifié par ce qu'il avait devant les yeux.
L'homme lui ressemblait. Non, il était incontestablement lui même.
Mais ses yeux...
Regarde moi, toi qui le peux ! Que vois tu ?
Dis le moi ! J'ai choisi de ne pas regarder le monde. Je préfère le toucher, le prendre, le façonner de mes mains, y laisser l'empreinte indélébile de mon corps, la marque éternelle de mon passage ici.
L'homme avait les yeux clos, et les paupières suturées par d'épais fils de cuir.
Que fais tu toi qui observe ? Tu t'éloignes pour ne pas prendre part aux combats, tu juges en prétendant à la sagesse, mais en réalité tu as peur !
Peur d'être vaincu, peur de n'être pas le plus fort, ainsi tu te calfeutres dans les discours du sage.
Mais la sagesse est femme ! Elle ne se donne qu'aux guerriers, telle la femelle au mâle.
Persévères à te cacher, à vivre comme un enfant peureux, et elle te glissera entre les doigts comme ces catins lascives ! La femme est une matière visqueuse, c'est la force de l'homme qui lui donne forme !
Dresse toi, sois un homme, et vaincs tes ennemis.
Tu n'en auras alors que faire de la sagesse, tu seras bienheureux et fort, combien tu mépriseras les faibles ! Combien tu riras de leurs discours lorsqu'ils t'expliqueront que toi, le fort, tu es mauvais, et qu'eux, les faibles, sont bons. Ils te diront que leur faiblesse est volontaire, et par là donc méritoire.
Tu les mépriseras alors, juché en haut de la légitimité acquise dans le sang des victoires, tu te gausseras de voir ces gens dont tu as fait partie s'étouffer en ruminant la mélasse de leur vertus illusoires !
Ouvre moi et nous irons quérir les gloires perdues dans la simplicité du monde !
Seras tu donc toujours l'esclave des faibles, des femmes et des vertus ?
Julien n'en pouvait plus, il avait chaud, et la voix de l'homme résonnait dans sa tête. Il ne comprenait pas vraiment ses paroles, mais elles lui faisaient mal.
L'homme, à présent, trottinait en souriant, longeant les rangées de barreaux pour faire le tour de sa cage.
Il les frappaient un à un, et les tiges métalliques rendaient quelques sons étranges.
Julien reconnut bien vite un air qu'il avait souvent entendu, souvent joué aussi. Il sonnait à présent de la voix nasillarde des chocs métalliques, comme une comptine d'enfant au rythme saccadé, mécanique et maladroit.
Reconnais tu cela ?
Horrible, n'est ce pas ? Combien de temps te laisseras tu bercer par ce chant flagorneur et pervers ?
Veux tu rester enfant ?
L'homme s'arrêta de tourner, et fixa Julien se ses yeux encroûtés de sang avec un léger rire sardonique.
Il se retourna soudain, et frappa la cage avec une force démentielle.
Le bruit qui ressortit était assourdissant, ce n'était plus un chant sec et frêle, mais un hurlement palpitant et puissant, qui écrasait les tympans de Julien malgré les mains qu'il pressait sur ses oreilles.
A cela se mêlaient le rire frénétique de l'homme, et le sifflement du vent qui s'était accru.
L'homme se remit bien vite à crier, mais Julien n'entendait plus ses paroles, il parvenait à peine à distinguait un "non !" et un "ouvre moi" qui finissaient par se chevaucher dans la tête dans un canon débridé.
Il voulut se laisser tomber au sol, mais il ne le put. Le vent le soutenait, lui faisant bientôt perdre pied, l'emportant dans sa folle spirale ascendante.
Julien, brinquebalé comme un fétu de paille dans les bourrasques de terre et les cris, finit par perdre connaissance.
"Nul vainqueur ne croit au hasard"
Friedrich Nietzsche
Rouge.
Tout était rouge.
Julien avait finit par atterrir quelque part, sur un sol de terre rouge.
Il n’y avait strictement rien d’autre autour de lui. Plus exactement, il ne discernait rien d’autre. Un vent violent soulevait la terre rouge, tourbillonnant en tous sens. L’on y voyait pas à dix mètres autour de soi.
Ce n’était pas le brun ou l’ocre des terres du sud, c’était un rouge pur, vif, un rouge de sang, plus rouge que le ciel est bleu.
Il faisait chaud, et Julien sentait la poussière cramoisie lui fouetter le corps, lui salir les cheveux et les vêtements. Il ne savait pas où aller.
Il partit sans conviction dans une direction hasardeuse. Pouvait il faire autrement ?
Bientôt, il s’aperçut que le sol était en pente. Voilà qui prouvait au moins que cet étrange univers avait un sens. Il aurait été bien marri de se trouver sur un plan infini !
La pente était douce, et Julien la suivait. Il toucha bientôt le fond.
Au centre de ce qui semblait selon les déductions de Julien être un immense cratère trônait une structure métallique.
Les bourrasques de poussière empêchèrent Julien de la voir de loin, si bien qu'il tomba presque nez à nez avec elle.
C'était une sorte de cage, dont il ne voyait pas le sommet, les immenses barreaux de métal s'élevaient jusqu'à se perdre dans les nuages de fumée rouge qui s'agitaient au dessus.
Les baguettes verticales étaient maintenues solidaires par des renforts horizontaux qui en faisaient le tour, le maillage était suffisamment serré pour qu'il soit impossible d'entrer.
Julien se tenait à quelque pas, et les volutes chtoniennes lui enlevaient la possibilité d'évaluer le diamètre de la cage. Il s'approcha, pensant que la courbure de l'alignement lui permettrait d'estimer rapidement la surface que remplissait cette étonnante construction.
Il put constater, en approchant, que le sol de la cage était jonché de débris en tous genres. Il y avait essentiellement des morceaux de bois, qui semblaient avoir été fracassés violemment. Mais Julien trouva également des choses plus étonnantes, qui absorbèrent bien vite son attention. Aux morceaux de bois brisé se mêlaient de longs fils de boyau, comme des cordes de harpe.
Julien s'accroupit au bord , et passa sa main entre les barreaux pour ramasser une poignée de ces fragments qui jonchaient le sol.
Il s'agissait bien de cordes de harpe, mais pas seulement. L'on y trouvait, pêle-mêle, des morceaux de verre et de pierres précieuses, de l'ambre notamment, qui semblaient avoir été pilés, et beaucoup de cheveux. Il s'agissait de longs cheveux, des cheveux de femmes. Julien en saisit une mèche. Il n'arrivait pas à déterminer leur couleur, ils étaient collés, coagulés même, imbibés de sang séché. Il les reposa avec une pointe de dégoût, et se redressa.
Ce n'est qu'alors qu'il s'aperçut de la présence d'un homme, assis en tailleur au centre de la cage.
Julien le discernait bien, car, étonnamment, l'intérieur de la cage semblait protégé du vent. Bien plus, celui ci semblait tourner autour.
L'homme avait la peau sombre, comme brûlée au soleil, il était vêtu d'un simple pantalon de toile noire. Son corps était couvert de meurtrissures et cicatrices de toutes sortes. Il avait les cheveux noirs, longs, qui descendaient négligemment le long de sa silhouette musclée, jusqu'à traîner par terre.
Julien ne pouvait presque rien dire des traits de son visage. L'homme avait les yeux bandés, cachés par une épaisse bande de tissu noir nouée autour de sa tête.
Julien resta un instant à l'observer. Il finit par s'approcher, et appuya sa main sur un des barreaux de la cage.
A peine Julien toucha-t-il le morceau de métal que l'homme se dressa sur ses pieds, et lui fit face.
Il avait des manières animales, et se tenait accroupi, comme à l'affût, en tournant ses yeux bandés en direction de Julien. De sa main gauche il ramassait des poignées de débris, puis les broyait de son étreinte puissante.
Julien sursauta, et fit deux pas de retrait devant la soudaineté de cette réaction.
A présent l'homme souriait, dévoilant ses dents blanches, étonnamment pointues.
Il prit alors la parole, faisant monter sa lourde voix, grave et éraillée des profondeurs de son corps.
Te voilà enfin. Pourquoi me faire attendre ? Nous détestons l'attente, et tu le sais.
Ouvre moi !
Julien était un petit peu effrayé, et tournait en rond autour de la cage, dans le sens du vent. L'homme le suivait en pivotant doucement, toujours prostré comme un fauve aux aguets.
Ouvre moi, et fais revivre les anciens mondes !
Je suis l'innocence, la cruauté candide, laisse moi sortir !
Laisse moi exhumer les cendres des empires païens, laisse moi restaurer ce monde où personne n'avait honte, où l'on s'aspergeait du sang épanché des taureaux sacrifiés ! Laisse moi vaincre les mauvaises consciences, laisse moi massacrer tes peurs !
Regarde moi !
L'homme se dressa alors, et retira le voile qui masquait son regard.
Cette fois Julien resta figé, il était fasciné et terrifié par ce qu'il avait devant les yeux.
L'homme lui ressemblait. Non, il était incontestablement lui même.
Mais ses yeux...
Regarde moi, toi qui le peux ! Que vois tu ?
Dis le moi ! J'ai choisi de ne pas regarder le monde. Je préfère le toucher, le prendre, le façonner de mes mains, y laisser l'empreinte indélébile de mon corps, la marque éternelle de mon passage ici.
L'homme avait les yeux clos, et les paupières suturées par d'épais fils de cuir.
Que fais tu toi qui observe ? Tu t'éloignes pour ne pas prendre part aux combats, tu juges en prétendant à la sagesse, mais en réalité tu as peur !
Peur d'être vaincu, peur de n'être pas le plus fort, ainsi tu te calfeutres dans les discours du sage.
Mais la sagesse est femme ! Elle ne se donne qu'aux guerriers, telle la femelle au mâle.
Persévères à te cacher, à vivre comme un enfant peureux, et elle te glissera entre les doigts comme ces catins lascives ! La femme est une matière visqueuse, c'est la force de l'homme qui lui donne forme !
Dresse toi, sois un homme, et vaincs tes ennemis.
Tu n'en auras alors que faire de la sagesse, tu seras bienheureux et fort, combien tu mépriseras les faibles ! Combien tu riras de leurs discours lorsqu'ils t'expliqueront que toi, le fort, tu es mauvais, et qu'eux, les faibles, sont bons. Ils te diront que leur faiblesse est volontaire, et par là donc méritoire.
Tu les mépriseras alors, juché en haut de la légitimité acquise dans le sang des victoires, tu te gausseras de voir ces gens dont tu as fait partie s'étouffer en ruminant la mélasse de leur vertus illusoires !
Ouvre moi et nous irons quérir les gloires perdues dans la simplicité du monde !
Seras tu donc toujours l'esclave des faibles, des femmes et des vertus ?
Julien n'en pouvait plus, il avait chaud, et la voix de l'homme résonnait dans sa tête. Il ne comprenait pas vraiment ses paroles, mais elles lui faisaient mal.
L'homme, à présent, trottinait en souriant, longeant les rangées de barreaux pour faire le tour de sa cage.
Il les frappaient un à un, et les tiges métalliques rendaient quelques sons étranges.
Julien reconnut bien vite un air qu'il avait souvent entendu, souvent joué aussi. Il sonnait à présent de la voix nasillarde des chocs métalliques, comme une comptine d'enfant au rythme saccadé, mécanique et maladroit.
Reconnais tu cela ?
Horrible, n'est ce pas ? Combien de temps te laisseras tu bercer par ce chant flagorneur et pervers ?
Veux tu rester enfant ?
L'homme s'arrêta de tourner, et fixa Julien se ses yeux encroûtés de sang avec un léger rire sardonique.
Il se retourna soudain, et frappa la cage avec une force démentielle.
Le bruit qui ressortit était assourdissant, ce n'était plus un chant sec et frêle, mais un hurlement palpitant et puissant, qui écrasait les tympans de Julien malgré les mains qu'il pressait sur ses oreilles.
A cela se mêlaient le rire frénétique de l'homme, et le sifflement du vent qui s'était accru.
L'homme se remit bien vite à crier, mais Julien n'entendait plus ses paroles, il parvenait à peine à distinguait un "non !" et un "ouvre moi" qui finissaient par se chevaucher dans la tête dans un canon débridé.
Il voulut se laisser tomber au sol, mais il ne le put. Le vent le soutenait, lui faisant bientôt perdre pied, l'emportant dans sa folle spirale ascendante.
Julien, brinquebalé comme un fétu de paille dans les bourrasques de terre et les cris, finit par perdre connaissance.
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Prosopopée des astres
Acte II : Netzach
"Étrange chose que d'être mère ! Ils ont beau nous faire du mal, nous n'avons pas de haine pour nos enfants."
Sophocle.
Lorsqu'il se réveilla, Julien était étendu sur le dos.
Il ouvrit d'abord les yeux. Il était calme. Il ne se souvenait plus de rien.
Il n'avait rien oublié pourtant, mais il ne se souvenait pas. Il était là, maintenant, absorbé dans un présent moelleux.
Il ne distinguait rien de ce qui l'entourait, et ne cherchait pas à le faire. Il faisait sombre, une opacité chaleureuse, rassurante, maternelle. Cette pénombre moite venait caresser ses yeux comme une faveur.
Il ne se dégageait aucun parfum de l'air tiède qui baignait l'endroit, mais une douce chaleur organique, humaine, à peine perceptible mais vivante, sûre d'elle et s'imposant à chaque recoin comme un fluide bienveillant, une tendre évidence.
Julien ne pensait pas. Il était dans les choses. Dans cette noirceur douillette, dans cette tiédeur sucrée.
Il se sentait comme dans un doux matin, après une nuit d'amour, lorsque l'on ne se sent plus vivre, lorsque l'on vit seulement, avec ce délicieux abandon de soi dont profitent les gens heureux.
Il sentait son coeur battre à l'endroit, vers l'extérieur. Chaque battement de sa vie se perdait au dehors de lui, s'insérait dans ce milieu compatissant , absorbant même.
Julien ne se sentait plus de corps, il vivait partout où son regard pouvait se poser. Cela ne changeait pas grand chose au final, car il ne voyait rien, mais il avait à présent un corps ouvert.
Il était solidaire du monde, de ce petit monde simple qui s'offrait à lui sans pudeur.
Il resta ainsi un moment, jusqu'à ce qu'il s'épuise. L'homme ne reste jamais heureux bien longtemps, il se réintègre vite, retombe en lui par paresse.
Julien avait tarie sa force d'être heureux.
Jusqu'à présent, le silence avait régné sans partage. Ce fut une cascade de rires clairs qui vinrent perler à ses oreilles comme les notes d'une gamme descendante qui sortit Julien de sa béatitude.
Il s'assit, et scruta l'entourage. Ses yeux avaient eu le temps de s'habituer à l'obscurité, et il y voyait désormais tout à fait clair.
Il était installé sur un sol couvert d'une épaisse couche de mousse. Il ne distinguait pas de murs, ni de plafond.
Il finit par se mettre debout, au prix d'un immense effort. Il pouvait apercevoir au loin un filet de lumière, qui semblait marquer une sortie. C'est de là que s'écoulaient les rires qui l'avaient intrigué.
Il se dirigea lentement vers cette source de clarté.
Il arriva finalement dans une grande salle claire, très différente de la précédente. Il ne discernait aucun plafond, mais les murs en revanche, étaient visibles. C'était d'ailleurs plus un large couloir qu'une salle. Il planait toujours cette délicate chaleur, et les rires résonnaient ici en une myriade d'échos.
Les murs offraient une surface irrégulière, faite de larges surfaces lisses entrecoupées d'angles. Julien avait beau tenter de prendre du recul, il ne voyait pas se dessiner le schème d'une figure géométrique quelconque.
Julien fut assez vite intrigué par la surface de ces murs, il s'approcha pour les scruter de plus près.
Cela ressemblait à de la roche polie, mais son aspect était étrange, à tel point que Julien ne put s'empêcher de passer sa main dessus.
A peine Julien eut il effleuré la pierre que celle ci devint translucide. Il en fut pour le moins surpris, et se pencha en arrière pour regarder la transparence s'irradier dans toute la pièce, sur chaque face des parois opposées.
Il ne retira pas sa main toutefois, il la gardait posée, du bout des doigts, sur la roche cristalline. Elle se reflétait à présent dans le miroir de pierre. Les cinq doigts qu'il pressait encore sur la roche se prolongeaient de l'autre côté en une autre main. Mais cette main était différente. Plus petite, plus frêle, elle écartait ses doigts courts avec une abnégation candide pour satisfaire à son devoir de reflet.
C'était la main d'une jeune fille. Julien pouvait la voir à présent.
Elle était jeune. Elle était jolie.
Elle était vêtue d'une robe simple. Tout aurait paru simple sur elle, son corps entier resplendissait d'une élégance divine sur laquelle tout n'était qu'anecdote.
Ses longs cheveux châtains glissaient négligemment le long de ses épaules et de son dos, elle ne semblait pas s'en soucier. Elle n'en avait pas besoin. Elle avait l'assurance insolente des femmes belles que rien ne peut rendre laides.
Elle était, telle que Julien la voyait à cet instant, la norme même de la beauté, et ne pouvait rien y faire.
Julien la regardait, il voyait son sourire doux, et buvait son regard tendre. Il aurait voulu s'approcher, se plaquer contre la pierre. Elle en aurait faire de même, il le savait.
Peut être même auraient ils pu vivre là, enfermés tous les deux dans cette pellicule de pierre, dans ce troisième monde qui faisait la rupture entre les leurs.
Mais Julien n'en fit rien. Il ôta délicatement sa main sans réfléchir. Il avait peur.
La jeune fille en fit de même, elle tâchait maladroitement d'épouser les courbes de la trajectoire du geste de l'homme qui lui faisait face.
Pour lui c'était la main gauche, pour elle la droite. Quelle importance ?
Pour la première fois, Julien put lire clairement ce qu'elle avait dans les yeux.
C'était des regrets amers, qu'elle édulcorait par l'éclat chaleureux de son sourire.
Dès lors le charme était rompu, ils étaient de nouveaux seuls avec eux mêmes.
Elle était libre à présent, et il la regardait courir pieds nus dans ce monde qu'il n'avait jamais aperçu avant. Son monde. Elle trottinait dans d'immenses collines verdoyantes avec une grâce aérienne, laissant parfois éclater ce rire délicat qui avait attiré Julien ici.
Souvent encore, elle se retournait vers lui, et le regardait d'un air désolé, avec sur les yeux un courant de nostalgie.
Julien ne se rappelait pas qui était cette fille. Il savait qu'il l'avait connue, mais rien d'autre. Était elle comtesse ou paysanne ? Il l'ignorait. Il ne pouvait plus se souvenir de son nom. Il ne savait plus où il l'avait rencontrée. Ils devaient être jeunes.
Il l'avait aimée seulement, ça il en était sûr. Combien de temps ? Un mois, une semaine, un jour peut être... Suffisamment toujours. Assez pour qu'elle soit encore là.
Il ne pensait à rien, il regardait simplement. Il n'en demandait pas plus pour le moment.
Il détacha d'ailleurs peu à peu son regard de ce tableau, et observa les alentours.
Elles étaient toutes là, sur chaque face des murs. Blondes, brunes, rousses, toutes les filles que Julien avait aimé, ne serait-ce qu'un instant. Elles l'observaient en riant, avec une bienveillance espiègle plantée dans leurs regards. Les unes étaient lourdement vêtues, entourées de robes longues et de draperies raffinées, et l'observaient depuis un intérieur luxueux, d'autres , au contraire, lui apparaissaient simples, bordées de paysages naturels, extérieures, bucoliques. Certaines se montraient nues, simplement, sans pudeur.
Julien ne se souvenait pas de toutes, loin s'en faut, et rare étaient les visages ou les corps sur lesquels il pouvait déposer un nom.
Qu'importe, il était bien. Il se plaisait à être l'objet de leurs attentions lointaines, et à leur rendre avec avarice, comme le visiteur d'un musée intime : lui seul pouvait détourner son regard. Il déambulait lentement en tournant autour de lui même pour ne rien manquer de cette exposition de souvenirs.
Il ne se sentait plus seul, il avait leurs yeux pour compagnie, il ne souhaitait pas plus.
Il oubliait que même le meilleur funambule ne peut danser sur un regard.
Un sentiment de plénitude l'avait à présent complètement envahi. Il était ivre, comme drogué au parfum de ce passé fleuri.
Il se réveilla enfin, lorsqu'au terme d'une énième rotation curieuse il tomba nez à nez avec son propre reflet, froidement imprimé sur la façade de roc. Il tendit encore la main, mais c'est la sienne qu'il trouva.
Il regarda alors en arrière, peu importe, il referait en arrière ce périple galant ! Il le recommencerait ensuite, et se perdrait à son fil comme dans un cercle vertueux.
Mais non, tout avait changé. Il n'y avait plus que lui à présent. Chaque face de pierre lui renvoyait sa propre image, perdue dans un monde absurdes de miroirs enchâssés.
Il avait froid, la douce tiédeur de l'air semblait être morte en même temps que les reflets de femmes, l'air était sec, il planait un parfum âcre d'occasions perdues, de rendez vous manqués.
Julien ne voulait pas se voir, il courut en avant, le long de ce couloir inquisiteur qui scandait son visage apeuré.
Il finit par sortir, et pénétra dans une grande pièce au sol vitreux. Il fit quelques pas, et se laissa surprendre.
Le sol était glissant, et bien que la pente soit douce, Julien ne trouvait plus d'appuis.
Il tomba, sans parvenir à se relever; et dériva lentement sur ce sol lisse sur lequel rien ne pouvait s'accrocher.
Julien ne se débattit pas longtemps, il n'en avait pas la force. Il se laissa porter. Allongé sur le dos, il tâchait de recréer ce couloir d'yeux et de rires...
Te voilà enfin, mon enfant.
Ce fut une voix forte, douce mais puissante, qui le tira de sa rêverie. Il connaissait trop bien cette voix, une voix de femme encore.
Il se redressa pour se tenir assis. Il pouvait la voir, elle était là, assise sur un muret de pierre qui fendait le sol, et vers lequel sa glissade inexorable l'entraînait à coup sûr.
Viens me rejoindre, tu as laissé passer ta chance ici.
La voix était douce, sincère, rassurante et pleine de compassion. Julien reconnut tout de suite cette femme, qui lui avait donné la vie.
Que lui voulait elle ? Quelle dégradante promiscuité se trouverait-elle restaurée au terme de cette descente aux enfers ? Quelle dégueulasserie grasse et suintante devrait il encore boire jusqu'à la lie si elle le reprenait ?
N'aies pas peur, mon petit, je serai là pour m'occuper de toi, pour te tenir au chaud.
Julien était à présent en proie à une crise de panique aigue, il ne voulait pas la rejoindre. Il ne haïssait personne à part elle. Il valait mieux mourir que de reformer encore une seconde cet être impudique et absurde, ces deux vies en un corps. Non, il ne s'anéantirait pas deux fois en elle !
Il s'était retourné sur le ventre, il grattait ses ongles sur le sol, il y râpait ses dents, même, en vain, car rien n'aurait su attendre, ou émouvoir ce parterre neutre, fade et poli jusqu'à l'exubérance, qui ne rendait aucune résistance sur laquelle s'appuyer.
Julien voulait rejoindre le couloir, il avait compris à présent. Oui, il toucherait la pierre, n'importe quelle face, n'importe quel monde, n'importe quelle femme. Il se plaquerait contre la paroi, et s'abolirait dans ce monde nouveau qui s'ouvrirait à lui, à eux, et ensemble, ils grossiraient cette surface, frontière de mondes, du relief orgueilleux d'un nouvel univers qu'ils marqueraient du sceau indomptable de leurs libertés consonantes.
Mais tous ces espoirs étaient vains. Il ne pouvait rien faire. Il coulait vers sa mère comme on s'embourbe dans un marécage.
Ne t'en fais pas, mon fils, tout sera bientôt fini.
La voix était calme, douce, dévouée, et bientôt, Julien toucha le muret du pied.
"Étrange chose que d'être mère ! Ils ont beau nous faire du mal, nous n'avons pas de haine pour nos enfants."
Sophocle.
Lorsqu'il se réveilla, Julien était étendu sur le dos.
Il ouvrit d'abord les yeux. Il était calme. Il ne se souvenait plus de rien.
Il n'avait rien oublié pourtant, mais il ne se souvenait pas. Il était là, maintenant, absorbé dans un présent moelleux.
Il ne distinguait rien de ce qui l'entourait, et ne cherchait pas à le faire. Il faisait sombre, une opacité chaleureuse, rassurante, maternelle. Cette pénombre moite venait caresser ses yeux comme une faveur.
Il ne se dégageait aucun parfum de l'air tiède qui baignait l'endroit, mais une douce chaleur organique, humaine, à peine perceptible mais vivante, sûre d'elle et s'imposant à chaque recoin comme un fluide bienveillant, une tendre évidence.
Julien ne pensait pas. Il était dans les choses. Dans cette noirceur douillette, dans cette tiédeur sucrée.
Il se sentait comme dans un doux matin, après une nuit d'amour, lorsque l'on ne se sent plus vivre, lorsque l'on vit seulement, avec ce délicieux abandon de soi dont profitent les gens heureux.
Il sentait son coeur battre à l'endroit, vers l'extérieur. Chaque battement de sa vie se perdait au dehors de lui, s'insérait dans ce milieu compatissant , absorbant même.
Julien ne se sentait plus de corps, il vivait partout où son regard pouvait se poser. Cela ne changeait pas grand chose au final, car il ne voyait rien, mais il avait à présent un corps ouvert.
Il était solidaire du monde, de ce petit monde simple qui s'offrait à lui sans pudeur.
Il resta ainsi un moment, jusqu'à ce qu'il s'épuise. L'homme ne reste jamais heureux bien longtemps, il se réintègre vite, retombe en lui par paresse.
Julien avait tarie sa force d'être heureux.
Jusqu'à présent, le silence avait régné sans partage. Ce fut une cascade de rires clairs qui vinrent perler à ses oreilles comme les notes d'une gamme descendante qui sortit Julien de sa béatitude.
Il s'assit, et scruta l'entourage. Ses yeux avaient eu le temps de s'habituer à l'obscurité, et il y voyait désormais tout à fait clair.
Il était installé sur un sol couvert d'une épaisse couche de mousse. Il ne distinguait pas de murs, ni de plafond.
Il finit par se mettre debout, au prix d'un immense effort. Il pouvait apercevoir au loin un filet de lumière, qui semblait marquer une sortie. C'est de là que s'écoulaient les rires qui l'avaient intrigué.
Il se dirigea lentement vers cette source de clarté.
Il arriva finalement dans une grande salle claire, très différente de la précédente. Il ne discernait aucun plafond, mais les murs en revanche, étaient visibles. C'était d'ailleurs plus un large couloir qu'une salle. Il planait toujours cette délicate chaleur, et les rires résonnaient ici en une myriade d'échos.
Les murs offraient une surface irrégulière, faite de larges surfaces lisses entrecoupées d'angles. Julien avait beau tenter de prendre du recul, il ne voyait pas se dessiner le schème d'une figure géométrique quelconque.
Julien fut assez vite intrigué par la surface de ces murs, il s'approcha pour les scruter de plus près.
Cela ressemblait à de la roche polie, mais son aspect était étrange, à tel point que Julien ne put s'empêcher de passer sa main dessus.
A peine Julien eut il effleuré la pierre que celle ci devint translucide. Il en fut pour le moins surpris, et se pencha en arrière pour regarder la transparence s'irradier dans toute la pièce, sur chaque face des parois opposées.
Il ne retira pas sa main toutefois, il la gardait posée, du bout des doigts, sur la roche cristalline. Elle se reflétait à présent dans le miroir de pierre. Les cinq doigts qu'il pressait encore sur la roche se prolongeaient de l'autre côté en une autre main. Mais cette main était différente. Plus petite, plus frêle, elle écartait ses doigts courts avec une abnégation candide pour satisfaire à son devoir de reflet.
C'était la main d'une jeune fille. Julien pouvait la voir à présent.
Elle était jeune. Elle était jolie.
Elle était vêtue d'une robe simple. Tout aurait paru simple sur elle, son corps entier resplendissait d'une élégance divine sur laquelle tout n'était qu'anecdote.
Ses longs cheveux châtains glissaient négligemment le long de ses épaules et de son dos, elle ne semblait pas s'en soucier. Elle n'en avait pas besoin. Elle avait l'assurance insolente des femmes belles que rien ne peut rendre laides.
Elle était, telle que Julien la voyait à cet instant, la norme même de la beauté, et ne pouvait rien y faire.
Julien la regardait, il voyait son sourire doux, et buvait son regard tendre. Il aurait voulu s'approcher, se plaquer contre la pierre. Elle en aurait faire de même, il le savait.
Peut être même auraient ils pu vivre là, enfermés tous les deux dans cette pellicule de pierre, dans ce troisième monde qui faisait la rupture entre les leurs.
Mais Julien n'en fit rien. Il ôta délicatement sa main sans réfléchir. Il avait peur.
La jeune fille en fit de même, elle tâchait maladroitement d'épouser les courbes de la trajectoire du geste de l'homme qui lui faisait face.
Pour lui c'était la main gauche, pour elle la droite. Quelle importance ?
Pour la première fois, Julien put lire clairement ce qu'elle avait dans les yeux.
C'était des regrets amers, qu'elle édulcorait par l'éclat chaleureux de son sourire.
Dès lors le charme était rompu, ils étaient de nouveaux seuls avec eux mêmes.
Elle était libre à présent, et il la regardait courir pieds nus dans ce monde qu'il n'avait jamais aperçu avant. Son monde. Elle trottinait dans d'immenses collines verdoyantes avec une grâce aérienne, laissant parfois éclater ce rire délicat qui avait attiré Julien ici.
Souvent encore, elle se retournait vers lui, et le regardait d'un air désolé, avec sur les yeux un courant de nostalgie.
Julien ne se rappelait pas qui était cette fille. Il savait qu'il l'avait connue, mais rien d'autre. Était elle comtesse ou paysanne ? Il l'ignorait. Il ne pouvait plus se souvenir de son nom. Il ne savait plus où il l'avait rencontrée. Ils devaient être jeunes.
Il l'avait aimée seulement, ça il en était sûr. Combien de temps ? Un mois, une semaine, un jour peut être... Suffisamment toujours. Assez pour qu'elle soit encore là.
Il ne pensait à rien, il regardait simplement. Il n'en demandait pas plus pour le moment.
Il détacha d'ailleurs peu à peu son regard de ce tableau, et observa les alentours.
Elles étaient toutes là, sur chaque face des murs. Blondes, brunes, rousses, toutes les filles que Julien avait aimé, ne serait-ce qu'un instant. Elles l'observaient en riant, avec une bienveillance espiègle plantée dans leurs regards. Les unes étaient lourdement vêtues, entourées de robes longues et de draperies raffinées, et l'observaient depuis un intérieur luxueux, d'autres , au contraire, lui apparaissaient simples, bordées de paysages naturels, extérieures, bucoliques. Certaines se montraient nues, simplement, sans pudeur.
Julien ne se souvenait pas de toutes, loin s'en faut, et rare étaient les visages ou les corps sur lesquels il pouvait déposer un nom.
Qu'importe, il était bien. Il se plaisait à être l'objet de leurs attentions lointaines, et à leur rendre avec avarice, comme le visiteur d'un musée intime : lui seul pouvait détourner son regard. Il déambulait lentement en tournant autour de lui même pour ne rien manquer de cette exposition de souvenirs.
Il ne se sentait plus seul, il avait leurs yeux pour compagnie, il ne souhaitait pas plus.
Il oubliait que même le meilleur funambule ne peut danser sur un regard.
Un sentiment de plénitude l'avait à présent complètement envahi. Il était ivre, comme drogué au parfum de ce passé fleuri.
Il se réveilla enfin, lorsqu'au terme d'une énième rotation curieuse il tomba nez à nez avec son propre reflet, froidement imprimé sur la façade de roc. Il tendit encore la main, mais c'est la sienne qu'il trouva.
Il regarda alors en arrière, peu importe, il referait en arrière ce périple galant ! Il le recommencerait ensuite, et se perdrait à son fil comme dans un cercle vertueux.
Mais non, tout avait changé. Il n'y avait plus que lui à présent. Chaque face de pierre lui renvoyait sa propre image, perdue dans un monde absurdes de miroirs enchâssés.
Il avait froid, la douce tiédeur de l'air semblait être morte en même temps que les reflets de femmes, l'air était sec, il planait un parfum âcre d'occasions perdues, de rendez vous manqués.
Julien ne voulait pas se voir, il courut en avant, le long de ce couloir inquisiteur qui scandait son visage apeuré.
Il finit par sortir, et pénétra dans une grande pièce au sol vitreux. Il fit quelques pas, et se laissa surprendre.
Le sol était glissant, et bien que la pente soit douce, Julien ne trouvait plus d'appuis.
Il tomba, sans parvenir à se relever; et dériva lentement sur ce sol lisse sur lequel rien ne pouvait s'accrocher.
Julien ne se débattit pas longtemps, il n'en avait pas la force. Il se laissa porter. Allongé sur le dos, il tâchait de recréer ce couloir d'yeux et de rires...
Te voilà enfin, mon enfant.
Ce fut une voix forte, douce mais puissante, qui le tira de sa rêverie. Il connaissait trop bien cette voix, une voix de femme encore.
Il se redressa pour se tenir assis. Il pouvait la voir, elle était là, assise sur un muret de pierre qui fendait le sol, et vers lequel sa glissade inexorable l'entraînait à coup sûr.
Viens me rejoindre, tu as laissé passer ta chance ici.
La voix était douce, sincère, rassurante et pleine de compassion. Julien reconnut tout de suite cette femme, qui lui avait donné la vie.
Que lui voulait elle ? Quelle dégradante promiscuité se trouverait-elle restaurée au terme de cette descente aux enfers ? Quelle dégueulasserie grasse et suintante devrait il encore boire jusqu'à la lie si elle le reprenait ?
N'aies pas peur, mon petit, je serai là pour m'occuper de toi, pour te tenir au chaud.
Julien était à présent en proie à une crise de panique aigue, il ne voulait pas la rejoindre. Il ne haïssait personne à part elle. Il valait mieux mourir que de reformer encore une seconde cet être impudique et absurde, ces deux vies en un corps. Non, il ne s'anéantirait pas deux fois en elle !
Il s'était retourné sur le ventre, il grattait ses ongles sur le sol, il y râpait ses dents, même, en vain, car rien n'aurait su attendre, ou émouvoir ce parterre neutre, fade et poli jusqu'à l'exubérance, qui ne rendait aucune résistance sur laquelle s'appuyer.
Julien voulait rejoindre le couloir, il avait compris à présent. Oui, il toucherait la pierre, n'importe quelle face, n'importe quel monde, n'importe quelle femme. Il se plaquerait contre la paroi, et s'abolirait dans ce monde nouveau qui s'ouvrirait à lui, à eux, et ensemble, ils grossiraient cette surface, frontière de mondes, du relief orgueilleux d'un nouvel univers qu'ils marqueraient du sceau indomptable de leurs libertés consonantes.
Mais tous ces espoirs étaient vains. Il ne pouvait rien faire. Il coulait vers sa mère comme on s'embourbe dans un marécage.
Ne t'en fais pas, mon fils, tout sera bientôt fini.
La voix était calme, douce, dévouée, et bientôt, Julien toucha le muret du pied.
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Prosopopée des astres
Acte III : Koyaanisqatsi
"Héra se rendit vers les nefs assemblées, ainsi que Pallas Athéna, Poséidon qui secoue la terre, et Hermès, le bon coureur, qui l'emporte sur tous pour la pénétration de la pensée."
Homère
Julien ne voulait rien voir. Il avait le pied à terre, il le sentait. Il méprisait ce qu'il pensait devoir se passer ensuite au point de refuser de le croire, d'en détourner ses yeux comme d'un spectre malsain.
Et pourtant...
Il ne se passa rien.
Il resta là, les deux pieds ancrés sur le socle dur. Il ne pensait à rien, il se sentait lourd, comme un arbre leste et pesant. Il fermait les yeux, et avait même l'impression qu'il ne verrait rien quand bien même les aurait il ouverts.
Jamais il ne s'était senti aussi massif, comme si l'attraction de son corps dense était si forte qu'elle happait même son propre regard. Son seul point de mire était tendu en lui, comme aimanté par un trou noir endogène, un aspirateur d'âme interne.
Il sentait la pression s'accroître sur sa chair, ses os, sa peau, comme si tout son corps voulait s'affaisser sur lui même, comme une grosse masse de tissus mous honteuse de sa laideur.
Mais Julien se sentait étrangement bien, il vivait plus fort à présent, il se sentait là, en ce point unique, ramassé, condensé de lui même, et tout le reste, ces membres pendants et gauches, ces cheveux démissionnaires et tombants n'étaient plus qu'une excroissance formelle impure.
Cette oppression le ravissait. Il exhortait sa peau à se craqueler sous cette force impérieuse, il voulait sentir son sang, ravalé en succions profondes et régulières, s'amalgamer en un caillot unique, ses chairs flasques et sans sèves suivraient à leur tour et se ratatineraient en coeur. Il voyait déjà ses yeux s'effeuiller comme on pèlerait un oignon, et les pellicules de matière vitreuse viendraient se lover aux contours de sang solidifié. Seuls ses os opposeraient une certaine résistance, insuffisante. Ils rompraient bien vite à leur tour, et viendraient poudroyer en une poussière calcique autour de la boule de chair dense et palpitante.
Quel ravissement ! Le corps de l'homme est trop vaste pour son âme moribonde, il ne l'habite pas en entier. Il le cogne, le maîtrise mal, ne sait jamais vraiment quoi en faire.
Où sommes nous dans nos corps ? Nous avons l'impression de penser en haut, mais nous jouissons plus bas. Nous voyons dans le prolongement des yeux et entendons entre nos oreilles, nous sentons dans nos narines et goûtons au palais. Que sommes nous donc aux pieds ? Une souffrance occasionnelle.
Julien, lui, pensait pourvoir enfin être lui partout. Il goûterait, sentirait, verrait, entendrait, penserait, prendrait tous ses plaisirs au même endroit. Il y a fort à parier d'ailleurs, qu'il ne distinguerait plus toutes ses choses, pourra-t-il enfin comprendre la pensée de Dieu ?
Ce fut d'abord au niveau du coeur que Julien sentit se matérialiser cette attraction. Mais cela ne dura pas, et son point de gravité descendit progressivement, longeant paresseusement son ventre, glissant le long de ses jambes jusqu'à se retrouver au plus bas des pieds. C'était sur la terre que Julien se sentait peser à présent comme un édifice imposant écrasant le sol de sa légitimité. Il aurait pu, s'il avait marché, sentir chacun de ses pas se répandre à la surface de cette matière dure qu'il foulait en une assurance véhémente, solide et pesante comme une certitude engoncée.
Mais cela n'était pas normal, et Julien finit par en prendre conscience. Il avait le souvenir d'être allongé, comment pouvait il sentir son poids peser sur ses jambes.
Tant pis... sa curiosité était trop grande, il ouvrit les yeux.
Il était bel et bien debout, fermement ancré sur ses pieds. Il scruta les alentours. Ce ne fut d'ailleurs pas long...
Un sol de roche sombre, un ciel bas lézardé d'éclairs lumineux, comme des aurores boréales psychédéliques, un bourdonnement harmonique incessant mais faible.
Et c'était tout. Tout ce que Julien vit. Il n'y avait apparemment rien d'autre à dire.
Le sol était d'une vacuité qualitative confondante. Le ciel, au contraire, se perdait si fort en féeries lumineuses, comme des nuages pyrotechniques, qu'il était impossible d'en dire quoique ce soit de plus sans devoir se contredire à la seconde suivante.
Le sifflement vibrant qui irradiait l'air dans un rodéo capricieux de tonalités anarchiques n'était pas beaucoup plus descriptible...
Julien finit toutefois par faire une observation intéressante. Le ciel était trop gros, trop proche.
Singulière impression à laquelle il ne donna pas un sens tout de suite.
Cela paraissait absurde ! Concrètement, le ciel n'est rien. on ne grossit pas rien... Julien se trouva interloqué quelques secondes, et fut tiré de sa réflexion par un picotement aux pieds.
Pour tout dire, il fut légèrement contrarié quand il constata, au terme d'une inclinaison de la tête d'environ 90 degrés, que ses chausses commençaient à prendre feu. Enfin... elles fumaient du moins.
Il alla même jusqu'à consentir au ridicule en sautillant bêtement dans l'espoir que la situation s'arrangerait. Heureusement, il était plus seul qu'un évêque dans la cathédrale de Narbonne, il allait donc pouvoir faire le nécessaire pour contenir ce début d'incendie podologique sans crainte de trop compromettre sa réputation d'homme sain d'esprit.
Il sautilla donc avec un zèle inflexible, étant entre temps parvenu à l'hypothèse, douloureusement corroborée par l'expérience, que cette saloperie de roche sur laquelle il ne pouvait pas faire autrement que poser ses pieds était bouillante. Il ne faisait pas si chaud que ça pourtant... Encore heureux du reste, une température élevée aurait dramatiquement aggravé les risques de sudation importune.
Puis vint le moment où, ivre de son propre ridicule, Julien constata que, à tout prendre, la plus élégante façon de sautiller comme un imbécile était encore de courir. Tout simplement.
Vaillamment revigoré par cette perspective réjouissante, il partit au galop. Il aura donc tout le loisir de visiter les lieux, ce qui était toujours ça de pris bien qu'en réalité, et pour être honnête, la monotonie y atteignait des sommets en lesquels même les plus grands débats électoraux ne pouvaient pas venir la titiller.
Heureuse intuition ! Car Julien put ainsi apporter une contribution décisive à l'appréhension scientifique de la géographie locale, en émettant une hypothèse météorologique hardie mais ingénieuse, dans le but d'expliquer l'obésité céleste.
Il était en fait probablement sur une boule, semblable à la terre, mais nettement plus petite, ce qui rabougrissait d'autant la distance que pouvait parcourir son regard impétueux jusqu'au mur inéluctable qu'était la ligne d'horizon. Élémentaire.
Julien se sentait mieux à présent. Il trottinait comme un débile pour ne pas fondre par le bas, et son corps d'intellectuel commençait à suinter des avertissements de surchauffe imminente les plus poisseusement concrets, mais il avait compris, et là était bien l'essentiel !
Mais il semblait être dans la nature de cet univers hostile de se montrer contrariant, et à peine Julien eut il arraché cette petite victoire qu'une contrepartie cinglante avait fusé : ses chausses recommençaient à fumer... Il n'allait pas assez vite !
Voilà qui devenait fâcheux, et Julien était désormais contraint au sprint éperdu pour limiter au maximum son contact au sol.
Toutefois, étrangement, il ne se fatiguait plus. Il courrait pourtant à en perdre haleine, et accélérait sans cesse, à tel point qu'il finit par atteindre une vitesse qu'il n'aurait jamais crue humaine.
Et il se sentait bien ! Aspiré en avant, comme à l'orée d'une chute qui ne se concrétise jamais, il voyait devant, il filait vers l'avenir avec une énergie infaillible. Il ne regardait plus le passé, comme cela était bon... Son présent n'était plus paresseusement répandu à ses pieds, il était tendu sur ce point d'horizon vers lequel il tendait à une vitesse exponentielle.
Julien avait comblé le retard qu'a l'homme qui pense, qui analyse, qui réfléchit un tant soi peu, sur sa vie.
Et elle revenait, l'aspiration. Mais non plus en lui cette fois, mais vers l'avant, vers un avenir apodictique.
Julien s'y laissait aller. Il était mouvement, et désormais le repos lui aurait parut absurde, révoltant, dégradant, écrasant d'une résignation mortifère. Il lui semblait même à présent que le monde qui l'entourait changeait. Il voyait s'étirer les spectres lumineux, se distordre les sonorités éoliennes, se détendre les rythmes et s'enfler les durées. Peu à peu, le monde prenaient sens, et une voix lui chuchota bientôt à l'oreille :
Bienvenue, voyageur étranger, sur cette fréquence de monde !
C'était cela ! Il l'entendait en fait depuis toujours, mais trop rapidement pour que son attention grossière le saisisse. Elle synthétisait en fait des milliards de mots, de phrases, de poèmes en un râle confus et indistinct. L'idiote.
Julien voulait parler mais il n'y parvient pas, il était un touriste silencieux, simple observateur, dans ce monde si proche, mais trop rapide pour lui.
Nous sommes heureux, mon ami, que vous nous accordiez enfin un sens ! Vous ne le regretterez pas !
Rejoignez nous ! Laissez tomber vos rythmes englués et vos durées fainéantes, vos perception qui trahissent le vrai pour sacrifier à l'utile ! Le repos n'est qu'un pis aller, vous le savez à présent.
Courrez donc à présent à nos côtés vers l'absolu !
Et Julien courait, toujours plus vite. A tel point qu'il finit par voir s'étendre son propre corps, que sa conscience grossière lui montrait comme une masse. Il voyait à présent ces milliards d'oscillations que ses yeux paresseux et trop lents synthétisaient en couleurs, en étendue sur place. Il se délectait de la dislocation de ce corps impur.
Il n'était plus en mouvement dès lors, il était mouvement. Mouvement pur, sans mobile.
Il n'était plus d'ailleurs, Il était partout, Il était tout et il vibrait sur place sur une fréquence infinie. Il était le coeur de l'univers aux battements divinement subtils.
Plus de Il dès lors, mais un ça radical.
Le grumeau d'âme était revenu à la pâte.
"Héra se rendit vers les nefs assemblées, ainsi que Pallas Athéna, Poséidon qui secoue la terre, et Hermès, le bon coureur, qui l'emporte sur tous pour la pénétration de la pensée."
Homère
Julien ne voulait rien voir. Il avait le pied à terre, il le sentait. Il méprisait ce qu'il pensait devoir se passer ensuite au point de refuser de le croire, d'en détourner ses yeux comme d'un spectre malsain.
Et pourtant...
Il ne se passa rien.
Il resta là, les deux pieds ancrés sur le socle dur. Il ne pensait à rien, il se sentait lourd, comme un arbre leste et pesant. Il fermait les yeux, et avait même l'impression qu'il ne verrait rien quand bien même les aurait il ouverts.
Jamais il ne s'était senti aussi massif, comme si l'attraction de son corps dense était si forte qu'elle happait même son propre regard. Son seul point de mire était tendu en lui, comme aimanté par un trou noir endogène, un aspirateur d'âme interne.
Il sentait la pression s'accroître sur sa chair, ses os, sa peau, comme si tout son corps voulait s'affaisser sur lui même, comme une grosse masse de tissus mous honteuse de sa laideur.
Mais Julien se sentait étrangement bien, il vivait plus fort à présent, il se sentait là, en ce point unique, ramassé, condensé de lui même, et tout le reste, ces membres pendants et gauches, ces cheveux démissionnaires et tombants n'étaient plus qu'une excroissance formelle impure.
Cette oppression le ravissait. Il exhortait sa peau à se craqueler sous cette force impérieuse, il voulait sentir son sang, ravalé en succions profondes et régulières, s'amalgamer en un caillot unique, ses chairs flasques et sans sèves suivraient à leur tour et se ratatineraient en coeur. Il voyait déjà ses yeux s'effeuiller comme on pèlerait un oignon, et les pellicules de matière vitreuse viendraient se lover aux contours de sang solidifié. Seuls ses os opposeraient une certaine résistance, insuffisante. Ils rompraient bien vite à leur tour, et viendraient poudroyer en une poussière calcique autour de la boule de chair dense et palpitante.
Quel ravissement ! Le corps de l'homme est trop vaste pour son âme moribonde, il ne l'habite pas en entier. Il le cogne, le maîtrise mal, ne sait jamais vraiment quoi en faire.
Où sommes nous dans nos corps ? Nous avons l'impression de penser en haut, mais nous jouissons plus bas. Nous voyons dans le prolongement des yeux et entendons entre nos oreilles, nous sentons dans nos narines et goûtons au palais. Que sommes nous donc aux pieds ? Une souffrance occasionnelle.
Julien, lui, pensait pourvoir enfin être lui partout. Il goûterait, sentirait, verrait, entendrait, penserait, prendrait tous ses plaisirs au même endroit. Il y a fort à parier d'ailleurs, qu'il ne distinguerait plus toutes ses choses, pourra-t-il enfin comprendre la pensée de Dieu ?
Ce fut d'abord au niveau du coeur que Julien sentit se matérialiser cette attraction. Mais cela ne dura pas, et son point de gravité descendit progressivement, longeant paresseusement son ventre, glissant le long de ses jambes jusqu'à se retrouver au plus bas des pieds. C'était sur la terre que Julien se sentait peser à présent comme un édifice imposant écrasant le sol de sa légitimité. Il aurait pu, s'il avait marché, sentir chacun de ses pas se répandre à la surface de cette matière dure qu'il foulait en une assurance véhémente, solide et pesante comme une certitude engoncée.
Mais cela n'était pas normal, et Julien finit par en prendre conscience. Il avait le souvenir d'être allongé, comment pouvait il sentir son poids peser sur ses jambes.
Tant pis... sa curiosité était trop grande, il ouvrit les yeux.
Il était bel et bien debout, fermement ancré sur ses pieds. Il scruta les alentours. Ce ne fut d'ailleurs pas long...
Un sol de roche sombre, un ciel bas lézardé d'éclairs lumineux, comme des aurores boréales psychédéliques, un bourdonnement harmonique incessant mais faible.
Et c'était tout. Tout ce que Julien vit. Il n'y avait apparemment rien d'autre à dire.
Le sol était d'une vacuité qualitative confondante. Le ciel, au contraire, se perdait si fort en féeries lumineuses, comme des nuages pyrotechniques, qu'il était impossible d'en dire quoique ce soit de plus sans devoir se contredire à la seconde suivante.
Le sifflement vibrant qui irradiait l'air dans un rodéo capricieux de tonalités anarchiques n'était pas beaucoup plus descriptible...
Julien finit toutefois par faire une observation intéressante. Le ciel était trop gros, trop proche.
Singulière impression à laquelle il ne donna pas un sens tout de suite.
Cela paraissait absurde ! Concrètement, le ciel n'est rien. on ne grossit pas rien... Julien se trouva interloqué quelques secondes, et fut tiré de sa réflexion par un picotement aux pieds.
Pour tout dire, il fut légèrement contrarié quand il constata, au terme d'une inclinaison de la tête d'environ 90 degrés, que ses chausses commençaient à prendre feu. Enfin... elles fumaient du moins.
Il alla même jusqu'à consentir au ridicule en sautillant bêtement dans l'espoir que la situation s'arrangerait. Heureusement, il était plus seul qu'un évêque dans la cathédrale de Narbonne, il allait donc pouvoir faire le nécessaire pour contenir ce début d'incendie podologique sans crainte de trop compromettre sa réputation d'homme sain d'esprit.
Il sautilla donc avec un zèle inflexible, étant entre temps parvenu à l'hypothèse, douloureusement corroborée par l'expérience, que cette saloperie de roche sur laquelle il ne pouvait pas faire autrement que poser ses pieds était bouillante. Il ne faisait pas si chaud que ça pourtant... Encore heureux du reste, une température élevée aurait dramatiquement aggravé les risques de sudation importune.
Puis vint le moment où, ivre de son propre ridicule, Julien constata que, à tout prendre, la plus élégante façon de sautiller comme un imbécile était encore de courir. Tout simplement.
Vaillamment revigoré par cette perspective réjouissante, il partit au galop. Il aura donc tout le loisir de visiter les lieux, ce qui était toujours ça de pris bien qu'en réalité, et pour être honnête, la monotonie y atteignait des sommets en lesquels même les plus grands débats électoraux ne pouvaient pas venir la titiller.
Heureuse intuition ! Car Julien put ainsi apporter une contribution décisive à l'appréhension scientifique de la géographie locale, en émettant une hypothèse météorologique hardie mais ingénieuse, dans le but d'expliquer l'obésité céleste.
Il était en fait probablement sur une boule, semblable à la terre, mais nettement plus petite, ce qui rabougrissait d'autant la distance que pouvait parcourir son regard impétueux jusqu'au mur inéluctable qu'était la ligne d'horizon. Élémentaire.
Julien se sentait mieux à présent. Il trottinait comme un débile pour ne pas fondre par le bas, et son corps d'intellectuel commençait à suinter des avertissements de surchauffe imminente les plus poisseusement concrets, mais il avait compris, et là était bien l'essentiel !
Mais il semblait être dans la nature de cet univers hostile de se montrer contrariant, et à peine Julien eut il arraché cette petite victoire qu'une contrepartie cinglante avait fusé : ses chausses recommençaient à fumer... Il n'allait pas assez vite !
Voilà qui devenait fâcheux, et Julien était désormais contraint au sprint éperdu pour limiter au maximum son contact au sol.
Toutefois, étrangement, il ne se fatiguait plus. Il courrait pourtant à en perdre haleine, et accélérait sans cesse, à tel point qu'il finit par atteindre une vitesse qu'il n'aurait jamais crue humaine.
Et il se sentait bien ! Aspiré en avant, comme à l'orée d'une chute qui ne se concrétise jamais, il voyait devant, il filait vers l'avenir avec une énergie infaillible. Il ne regardait plus le passé, comme cela était bon... Son présent n'était plus paresseusement répandu à ses pieds, il était tendu sur ce point d'horizon vers lequel il tendait à une vitesse exponentielle.
Julien avait comblé le retard qu'a l'homme qui pense, qui analyse, qui réfléchit un tant soi peu, sur sa vie.
Et elle revenait, l'aspiration. Mais non plus en lui cette fois, mais vers l'avant, vers un avenir apodictique.
Julien s'y laissait aller. Il était mouvement, et désormais le repos lui aurait parut absurde, révoltant, dégradant, écrasant d'une résignation mortifère. Il lui semblait même à présent que le monde qui l'entourait changeait. Il voyait s'étirer les spectres lumineux, se distordre les sonorités éoliennes, se détendre les rythmes et s'enfler les durées. Peu à peu, le monde prenaient sens, et une voix lui chuchota bientôt à l'oreille :
Bienvenue, voyageur étranger, sur cette fréquence de monde !
C'était cela ! Il l'entendait en fait depuis toujours, mais trop rapidement pour que son attention grossière le saisisse. Elle synthétisait en fait des milliards de mots, de phrases, de poèmes en un râle confus et indistinct. L'idiote.
Julien voulait parler mais il n'y parvient pas, il était un touriste silencieux, simple observateur, dans ce monde si proche, mais trop rapide pour lui.
Nous sommes heureux, mon ami, que vous nous accordiez enfin un sens ! Vous ne le regretterez pas !
Rejoignez nous ! Laissez tomber vos rythmes englués et vos durées fainéantes, vos perception qui trahissent le vrai pour sacrifier à l'utile ! Le repos n'est qu'un pis aller, vous le savez à présent.
Courrez donc à présent à nos côtés vers l'absolu !
Et Julien courait, toujours plus vite. A tel point qu'il finit par voir s'étendre son propre corps, que sa conscience grossière lui montrait comme une masse. Il voyait à présent ces milliards d'oscillations que ses yeux paresseux et trop lents synthétisaient en couleurs, en étendue sur place. Il se délectait de la dislocation de ce corps impur.
Il n'était plus en mouvement dès lors, il était mouvement. Mouvement pur, sans mobile.
Il n'était plus d'ailleurs, Il était partout, Il était tout et il vibrait sur place sur une fréquence infinie. Il était le coeur de l'univers aux battements divinement subtils.
Plus de Il dès lors, mais un ça radical.
Le grumeau d'âme était revenu à la pâte.
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Prosopopée des astres
Acte IV : Hessed
"Cette phrase est fausse."
Paradoxe d'Epiménide.
Majesté ! Majesté ! Vous m'écoutez ??
Julien n'écoutait pas, il était encore plongé dans cette rêverie bizarre, absorbé dans cette course folle. Il avait du s'assoupir, tout simplement.
Vous allez bien ??
La Casserole le fixait, il avait interrompu son discours sur les forces militaires du Royaume de France.
La pointe d'inquiétude qui animait son visage austère, couvert des stigmates de ses exploits militaires passés, donnait un aspect cocasse à l'ensemble. Voir ce grand gaillard encagé dans une armure clinquante se donner du souci comme le ferait un coeur tendre aurait largement suffit à faire sourire Julien s'il avait été bien réveillé. Ce n'était pas le cas, et le miracle ne dura pas bien longtemps, la Casserole se reprit bien vite et troqua sa courte manifestation d'empathie contre son traditionnel air atrabilaire et grognon.
Entre temps, Julien avait hoché sans conviction la tête, pour signifier qu'il allait bien.
La Casserole reprit alors le fil de son discours. Julien n'écoutait pas, les discours de celui qu'il avait chargé de la gestion militaire du royaume l'ennuyaient toujours prodigieusement. Il se demanda ce qu'il lui avait pris, ce jour où, après avoir été porté sur le trône par une foule fanatique dans un déluge d'applaudissements et de cris de joie en tous genres, il avait nommé la Casserole à ce poste. Quelle purge !
Par pitié, taisez vous !
C'était la voix stridente de la Garce qui venait de retentir. La Garce était la femme que Julien avait choisie pour Reine. Funeste erreur.
Elle était très difficilement définissable en ce qui concernait son apparence physique. En fait, à bien y réfléchir, il paraissait à Julien qu'elle changeait tous les jours... Et de fait, il avait toujours un certain mal à la reconnaître d'une journée à l'autre. D'ailleurs, la somme des ces petites transformations quotidiennes faisait souvent que, à terme, la Garce finissait par changer du tout au tout en un temps record. Là par exemple, elle avait les cheveux d'un roux très pâle, très clair, presque blond, mais Julien aurait juré qu'elle était brune il y' a à peine quelques semaines.
Il ne doutait cependant pas un seul instant qu'il puisse s'agir de femmes différentes, elle faisait preuve d'une trop grande constance dans certains travers de caractère pour cela. Cette fidélité aurait d'ailleurs pu paraître méritoire si elle n'avait depuis longtemps confiné à l'acharnement.
De fait, la Garce était égoïste, méprisante, pédante, hautaine, hypocrite à ses heures, imbue d'elle même, impatiente, pour ne citer que ses travers les plus flagrants.
Elle était assise à côté de lui, sur un trône magnifique qui surplombait le cercle de pierre sur lequel se tenaient les simples conseillers. Ce cercle était assez grand, suffisamment pour qu'une dizaine de personnes s'y tiennent debout sans proximité abusive. Le trône était dressé à un point quelconque du disque, de sorte que le couple royal pouvait embrasser tout le cercle du regard.
Cette surface ronde planait à des kilomètres du sol, surplombant le royaume qui s'offrait en entier à l'observation des quelques privilégiées qui pouvaient fouler le disque. C'est ainsi que Julien avait voulu que se passent les choses, il voulait que se réunisse son conseil dans les hauteurs du ciel, comme un aréopage céleste qui ferait pleuvoir sur le peuple impatient une myriade de mesures qui vivifieraient le royaume comme une pluie curative.
Vos insipides considérations nous fatiguent. Ne pouvez vous donc pas régler le moindre problème tout seul ? Vous perturbez la bonne tenue de ce conseil en le surchargeant de vos petits problèmes !
La Casserole se taisait. Tout le monde se taisait. Personne ne s'opposait jamais vraiment à la Garce.
Au bout d'un temps, s'avança l'Hydropisique, un homme d'un âgé, de petite taille, à l'allure négligée.
Il était laid, et son regard brillait toujours d'une cupidité malsaine, comme des étincelles d'intérêt pécuniaire. Il laissait toujours traîner ses mains grasses sur son ventre orgueilleux et proéminent.
Julien détestait l'Hydropisique, il ne supportait pas son ton flatteur, ses paroles moites de la plus répugnante séduction, son hypocrisie de serpent baveux. Mais il devait le reconnaître, nul ne pouvait veiller sur l'argent du royaume avec plus de zèle. Ce n'était d'ailleurs plus du zèle, mais une sorte de dévotion mystique, il comptait les écus comme on rendrait hommage à un nouveau dieu.
- Pardonnez moi, ma reine... Mais peut être pourrions nous aborder à présent le délicat problème du déficit probable de la balance courante, il se trouve qu'avec la hausse des dépenses...
- Assez ! Par pitié.
La Garce avait pris sa voix la plus plaintive, comme si le moindre fait que l'on puisse lui proposer d'aborder un tel sujet l'avait fait horriblement souffrir. Elle se tourna vers Julien.
Je suppose, mon ami, que vous ne souhaitez pas non plus que nous nous perdions dans ce genre de babillage inutile, n'est ce pas ?
Elle arborait à présent sa voix la plus mielleuses, sa plus douce sucrerie d'empoisonneuse hypocrite. C'était d'ailleurs superflu, et Julien acquiesça. Il ne refusait jamais rien à la Garce.
L'Hydropisique s'inclina, après un salut trop obséquieux pour être honnête, et s'en suivit un bref instant de silence gêné...
"Le crépuscule fond sur un monde mort né,
Prononçons l'oraison de ces coeurs désoeuvrés.
Que faisons nous ici quand notre temps se perd ?
Nous marchons aux côtés d'un nuage de roseaux
Nous partageons nos coeurs en disputes amères...
Et les cygnes éphémères dans la fraîcheur des eaux."
L'Autodidacte était allongé sur le dos, étendu de tout son long sur la dalle de pierre, les yeux rivés sur un ciel, quémandant l'inspiration. C'était un jeune homme frêle, à l'allure féminine.
Julien l'aimait beaucoup, ce qui lui valait sa présence au conseil, même s'il avait conscience que, à tout prendre, l'Autodidacte n'était qu'un piètre poète. Ses saillies poétiques n'étaient généralement pas bonnes, elles manquaient souvent d'originalité et de maîtrise stylistique. Au fond, elles n'étaient guère plus que les élucubrations naïves d'un jeune homme perdu dans les turpitudes des crises existentielles de son âge. Mais Julien aimait ce décalage, cette opposition entre les discours préparés, hypocrites et calculés, les manipulations réfléchies des conseillers d'un côté, et cette poésie entière, à l'emporte pièce, massive, à fleur de peau, authentique et brute de décoffrage. L'Autodidacte livrait ses tourments tels qu'ils sortaient de lui, sans sophistication abusive, et Julien admirait cette franchise. Au fond, peut être se retrouvait il en partie dans ce jeune homme...
Toujours est il que personne parmi les autres conseillers ne prêtait attention à lui, et ce court poème maladroit put tranquillement rebondir sur un lit de mépris. C'était d'ailleurs mieux ainsi, les échos des sons résonnent plus longtemps dans la fraîcheur des grottes que dans la chaleur des déserts.
Il ne fallut pas longtemps pour qu'un autre conseiller prenne la parole sur son domaine de compétence.
Majesté, que comptez vous faire pour résoudre le problème de l'augmentation galopante des cassures pour vices de forme envers les jugements statuant dans le cadre des délits de spéculation ?
La voix du Juste était claire, précise, méthodique. Comme toujours.
C'était la voix d'un homme droit, taillé dans le roc inflexible des rigueurs apodictiques. Le Juste était un beau jeune homme à l'allure impeccable et à l'esprit ordonné. Il était de ces hommes que l'on prend pour modèles, de ces exemples que l'on montre aux enfants. Sa vie semblait être réglée, mesurée, maîtrisée dans ses moindres détails. Chez lui tout allait droit, serré dans les mailles du filet d'une organisation implacable. Aucun jeu dans sa vie, aucune part d'improvisation féerique, le Juste était toujours inévitablement le même, désespérément là où l'on pouvait l'attendre. Il faisait toujours les mêmes choses aux mêmes moments de la journée, à tel point que tout son entourage avait fini par en faire l'étalon de leurs mesures temporelles.
Julien l'avait chargé de prendre en charge tout ce qui avait trait à la justice dans le royaume, et sa rigueur tatillonne faisait en cela des merveilles. Jamais un vice de forme ne venait entacher ses procédures. Au fond, le Juste n'était que forme, somme des instanciations successives d'une obsession pointilleuse que l'on ne pouvait saisir qu'à travers ses manifestations extérieures. Il était de ces gens qui adorent s'étouffer d'habitudes.
En entendant cette proposition, la Garce s'apprêta à manifester une fois encore son dégoût, mais elle fut devancée cette fois.
La Casserole avait tapé du pied par terre, et fustigeait à présent le comportement de la Garce dont il avait anticipé à juste titre le mouvement d'humeur.
Julien savait ce qui se passerait dès lors. Il en allait toujours ainsi. La Garce répondrait en agressant le conseil en entier, ce qui ne manquerait de provoquer les réactions indignées et colériques des uns, hypocrites et flagorneuses ou encore inflexibles et calmes pour les autres.
Au final, ils finiraient par se disputer tous, et le flot d'invectives serait parfois rompu par les jets poétiques de l'Autodidacte, que personne n'écoutera, comme les bulles d'air déchirent la surface des eaux.
Julien était las, il observait, curieux, son dernier conseiller.
Le φαινομενολογος ne disait rien. Jamais rien. Il était le médiateur entre les mondes temporels et spirituels. Il se tenait sur un bord du cercle, et tournait le dos aux belligérants verbaux. Il observait le monde, en silence, les bras croisés derrière le dos. C'était un homme brun, vêtu d'une robe de prêtre noire. Il était plutôt jeune, mais sa gestuelle lente et mesurée lui donnait parfois l'allure d'un vieillard vénérable. Julien l'enviait souvent, en pareilles conditions. Il aurait voulu pouvoir, comme lui, tourner le dos à ces discours stériles. Il aurait vraiment souhaité l'entendre un jour...
Hélas, on ne lui en laissait pas le loisir.
La querelle de mots commençait à se perdre en un bourdonnement unique, duquel s'extirpait parfois une phrase, un mot, une syllabe isolés.
Déficit ! Procédure ! Bataille !
Incompétents !
Détresse ?
Julien commençait à avoir mal au crâne, et ils continuaient de plus belle.
Bonjour ! Je suis Aglaé le bélier, défenseur honoraire des droits individuels de la pécardousselle cendrée.
Les voix se mêlaient dans la tête de Julien, composant un méta-discours complètement vide de sens.
Libérez les topinambours !
Donnons pignon sur rue au front d'émancipation des beignets au miel !
Julien n'en pouvait plus, il sentait ces avatars de mots, agrégats de sonorités simples éructées par des voix communes, et cousues ensemble par quelque savant fou harmoniste, se cogner contre les parois de son crâne, rebondir en tous sens dans un ballet assourdissant. Il sentait peser sur ses tympans ces monstruosités auditives, comme un vagissement incertain, une inintelligible mosaïque de timbres et d'intonations.
Il fallait que ça cesse.
Il se leva, et se dirigea en titubant vers le bord du disque. Personne ne l'en empêcha, ils étaient trop occupés à tisser de leurs fils les tissus abjects de leurs discours abscons.
Il se laissa tomber, et accueillit la chute comme une délivrance.
A présent il se sentait bien, seul, au calme.
Il planait dans les airs et regardait le ciel. Au loin, il pouvait voir le regard de l'homme en noir qui l'observait, les bras croisés dans son dos.
Peut être le φαινομενολογος parlerait il enfin ?
Non.
Pas encore.
"Cette phrase est fausse."
Paradoxe d'Epiménide.
Majesté ! Majesté ! Vous m'écoutez ??
Julien n'écoutait pas, il était encore plongé dans cette rêverie bizarre, absorbé dans cette course folle. Il avait du s'assoupir, tout simplement.
Vous allez bien ??
La Casserole le fixait, il avait interrompu son discours sur les forces militaires du Royaume de France.
La pointe d'inquiétude qui animait son visage austère, couvert des stigmates de ses exploits militaires passés, donnait un aspect cocasse à l'ensemble. Voir ce grand gaillard encagé dans une armure clinquante se donner du souci comme le ferait un coeur tendre aurait largement suffit à faire sourire Julien s'il avait été bien réveillé. Ce n'était pas le cas, et le miracle ne dura pas bien longtemps, la Casserole se reprit bien vite et troqua sa courte manifestation d'empathie contre son traditionnel air atrabilaire et grognon.
Entre temps, Julien avait hoché sans conviction la tête, pour signifier qu'il allait bien.
La Casserole reprit alors le fil de son discours. Julien n'écoutait pas, les discours de celui qu'il avait chargé de la gestion militaire du royaume l'ennuyaient toujours prodigieusement. Il se demanda ce qu'il lui avait pris, ce jour où, après avoir été porté sur le trône par une foule fanatique dans un déluge d'applaudissements et de cris de joie en tous genres, il avait nommé la Casserole à ce poste. Quelle purge !
Par pitié, taisez vous !
C'était la voix stridente de la Garce qui venait de retentir. La Garce était la femme que Julien avait choisie pour Reine. Funeste erreur.
Elle était très difficilement définissable en ce qui concernait son apparence physique. En fait, à bien y réfléchir, il paraissait à Julien qu'elle changeait tous les jours... Et de fait, il avait toujours un certain mal à la reconnaître d'une journée à l'autre. D'ailleurs, la somme des ces petites transformations quotidiennes faisait souvent que, à terme, la Garce finissait par changer du tout au tout en un temps record. Là par exemple, elle avait les cheveux d'un roux très pâle, très clair, presque blond, mais Julien aurait juré qu'elle était brune il y' a à peine quelques semaines.
Il ne doutait cependant pas un seul instant qu'il puisse s'agir de femmes différentes, elle faisait preuve d'une trop grande constance dans certains travers de caractère pour cela. Cette fidélité aurait d'ailleurs pu paraître méritoire si elle n'avait depuis longtemps confiné à l'acharnement.
De fait, la Garce était égoïste, méprisante, pédante, hautaine, hypocrite à ses heures, imbue d'elle même, impatiente, pour ne citer que ses travers les plus flagrants.
Elle était assise à côté de lui, sur un trône magnifique qui surplombait le cercle de pierre sur lequel se tenaient les simples conseillers. Ce cercle était assez grand, suffisamment pour qu'une dizaine de personnes s'y tiennent debout sans proximité abusive. Le trône était dressé à un point quelconque du disque, de sorte que le couple royal pouvait embrasser tout le cercle du regard.
Cette surface ronde planait à des kilomètres du sol, surplombant le royaume qui s'offrait en entier à l'observation des quelques privilégiées qui pouvaient fouler le disque. C'est ainsi que Julien avait voulu que se passent les choses, il voulait que se réunisse son conseil dans les hauteurs du ciel, comme un aréopage céleste qui ferait pleuvoir sur le peuple impatient une myriade de mesures qui vivifieraient le royaume comme une pluie curative.
Vos insipides considérations nous fatiguent. Ne pouvez vous donc pas régler le moindre problème tout seul ? Vous perturbez la bonne tenue de ce conseil en le surchargeant de vos petits problèmes !
La Casserole se taisait. Tout le monde se taisait. Personne ne s'opposait jamais vraiment à la Garce.
Au bout d'un temps, s'avança l'Hydropisique, un homme d'un âgé, de petite taille, à l'allure négligée.
Il était laid, et son regard brillait toujours d'une cupidité malsaine, comme des étincelles d'intérêt pécuniaire. Il laissait toujours traîner ses mains grasses sur son ventre orgueilleux et proéminent.
Julien détestait l'Hydropisique, il ne supportait pas son ton flatteur, ses paroles moites de la plus répugnante séduction, son hypocrisie de serpent baveux. Mais il devait le reconnaître, nul ne pouvait veiller sur l'argent du royaume avec plus de zèle. Ce n'était d'ailleurs plus du zèle, mais une sorte de dévotion mystique, il comptait les écus comme on rendrait hommage à un nouveau dieu.
- Pardonnez moi, ma reine... Mais peut être pourrions nous aborder à présent le délicat problème du déficit probable de la balance courante, il se trouve qu'avec la hausse des dépenses...
- Assez ! Par pitié.
La Garce avait pris sa voix la plus plaintive, comme si le moindre fait que l'on puisse lui proposer d'aborder un tel sujet l'avait fait horriblement souffrir. Elle se tourna vers Julien.
Je suppose, mon ami, que vous ne souhaitez pas non plus que nous nous perdions dans ce genre de babillage inutile, n'est ce pas ?
Elle arborait à présent sa voix la plus mielleuses, sa plus douce sucrerie d'empoisonneuse hypocrite. C'était d'ailleurs superflu, et Julien acquiesça. Il ne refusait jamais rien à la Garce.
L'Hydropisique s'inclina, après un salut trop obséquieux pour être honnête, et s'en suivit un bref instant de silence gêné...
"Le crépuscule fond sur un monde mort né,
Prononçons l'oraison de ces coeurs désoeuvrés.
Que faisons nous ici quand notre temps se perd ?
Nous marchons aux côtés d'un nuage de roseaux
Nous partageons nos coeurs en disputes amères...
Et les cygnes éphémères dans la fraîcheur des eaux."
L'Autodidacte était allongé sur le dos, étendu de tout son long sur la dalle de pierre, les yeux rivés sur un ciel, quémandant l'inspiration. C'était un jeune homme frêle, à l'allure féminine.
Julien l'aimait beaucoup, ce qui lui valait sa présence au conseil, même s'il avait conscience que, à tout prendre, l'Autodidacte n'était qu'un piètre poète. Ses saillies poétiques n'étaient généralement pas bonnes, elles manquaient souvent d'originalité et de maîtrise stylistique. Au fond, elles n'étaient guère plus que les élucubrations naïves d'un jeune homme perdu dans les turpitudes des crises existentielles de son âge. Mais Julien aimait ce décalage, cette opposition entre les discours préparés, hypocrites et calculés, les manipulations réfléchies des conseillers d'un côté, et cette poésie entière, à l'emporte pièce, massive, à fleur de peau, authentique et brute de décoffrage. L'Autodidacte livrait ses tourments tels qu'ils sortaient de lui, sans sophistication abusive, et Julien admirait cette franchise. Au fond, peut être se retrouvait il en partie dans ce jeune homme...
Toujours est il que personne parmi les autres conseillers ne prêtait attention à lui, et ce court poème maladroit put tranquillement rebondir sur un lit de mépris. C'était d'ailleurs mieux ainsi, les échos des sons résonnent plus longtemps dans la fraîcheur des grottes que dans la chaleur des déserts.
Il ne fallut pas longtemps pour qu'un autre conseiller prenne la parole sur son domaine de compétence.
Majesté, que comptez vous faire pour résoudre le problème de l'augmentation galopante des cassures pour vices de forme envers les jugements statuant dans le cadre des délits de spéculation ?
La voix du Juste était claire, précise, méthodique. Comme toujours.
C'était la voix d'un homme droit, taillé dans le roc inflexible des rigueurs apodictiques. Le Juste était un beau jeune homme à l'allure impeccable et à l'esprit ordonné. Il était de ces hommes que l'on prend pour modèles, de ces exemples que l'on montre aux enfants. Sa vie semblait être réglée, mesurée, maîtrisée dans ses moindres détails. Chez lui tout allait droit, serré dans les mailles du filet d'une organisation implacable. Aucun jeu dans sa vie, aucune part d'improvisation féerique, le Juste était toujours inévitablement le même, désespérément là où l'on pouvait l'attendre. Il faisait toujours les mêmes choses aux mêmes moments de la journée, à tel point que tout son entourage avait fini par en faire l'étalon de leurs mesures temporelles.
Julien l'avait chargé de prendre en charge tout ce qui avait trait à la justice dans le royaume, et sa rigueur tatillonne faisait en cela des merveilles. Jamais un vice de forme ne venait entacher ses procédures. Au fond, le Juste n'était que forme, somme des instanciations successives d'une obsession pointilleuse que l'on ne pouvait saisir qu'à travers ses manifestations extérieures. Il était de ces gens qui adorent s'étouffer d'habitudes.
En entendant cette proposition, la Garce s'apprêta à manifester une fois encore son dégoût, mais elle fut devancée cette fois.
La Casserole avait tapé du pied par terre, et fustigeait à présent le comportement de la Garce dont il avait anticipé à juste titre le mouvement d'humeur.
Julien savait ce qui se passerait dès lors. Il en allait toujours ainsi. La Garce répondrait en agressant le conseil en entier, ce qui ne manquerait de provoquer les réactions indignées et colériques des uns, hypocrites et flagorneuses ou encore inflexibles et calmes pour les autres.
Au final, ils finiraient par se disputer tous, et le flot d'invectives serait parfois rompu par les jets poétiques de l'Autodidacte, que personne n'écoutera, comme les bulles d'air déchirent la surface des eaux.
Julien était las, il observait, curieux, son dernier conseiller.
Le φαινομενολογος ne disait rien. Jamais rien. Il était le médiateur entre les mondes temporels et spirituels. Il se tenait sur un bord du cercle, et tournait le dos aux belligérants verbaux. Il observait le monde, en silence, les bras croisés derrière le dos. C'était un homme brun, vêtu d'une robe de prêtre noire. Il était plutôt jeune, mais sa gestuelle lente et mesurée lui donnait parfois l'allure d'un vieillard vénérable. Julien l'enviait souvent, en pareilles conditions. Il aurait voulu pouvoir, comme lui, tourner le dos à ces discours stériles. Il aurait vraiment souhaité l'entendre un jour...
Hélas, on ne lui en laissait pas le loisir.
La querelle de mots commençait à se perdre en un bourdonnement unique, duquel s'extirpait parfois une phrase, un mot, une syllabe isolés.
Déficit ! Procédure ! Bataille !
Incompétents !
Détresse ?
Julien commençait à avoir mal au crâne, et ils continuaient de plus belle.
Bonjour ! Je suis Aglaé le bélier, défenseur honoraire des droits individuels de la pécardousselle cendrée.
Les voix se mêlaient dans la tête de Julien, composant un méta-discours complètement vide de sens.
Libérez les topinambours !
Donnons pignon sur rue au front d'émancipation des beignets au miel !
Julien n'en pouvait plus, il sentait ces avatars de mots, agrégats de sonorités simples éructées par des voix communes, et cousues ensemble par quelque savant fou harmoniste, se cogner contre les parois de son crâne, rebondir en tous sens dans un ballet assourdissant. Il sentait peser sur ses tympans ces monstruosités auditives, comme un vagissement incertain, une inintelligible mosaïque de timbres et d'intonations.
Il fallait que ça cesse.
Il se leva, et se dirigea en titubant vers le bord du disque. Personne ne l'en empêcha, ils étaient trop occupés à tisser de leurs fils les tissus abjects de leurs discours abscons.
Il se laissa tomber, et accueillit la chute comme une délivrance.
A présent il se sentait bien, seul, au calme.
Il planait dans les airs et regardait le ciel. Au loin, il pouvait voir le regard de l'homme en noir qui l'observait, les bras croisés dans son dos.
Peut être le φαινομενολογος parlerait il enfin ?
Non.
Pas encore.
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Prosopopée des astres
Acte V : Powaqqatsi
"Un récipient de cendre pourrait un jour être lancé du ciel et il pourrait faire flamber la terre et bouillir les océans."
Prophétie Hopi.
Julien avait du s'assoupir durant sa chute. Il planait à présent, et ne voyait plus rien.
Il tombait certes toujours, mais paresseusement, comme une lourde feuille morte.
Étonnant phénomène, car rien ne retenait sa descente. Il pensa d'abord devoir sentir peser sur lui un air dense, chargé d'eau peut être, qui expliquerait que lui, corps lourd, matériel, terrestre, se traîne nonchalamment sur le chemin de l'équilibre des éléments, comme une grosse masse indolente qui se baladerait sur le sentier des vérités éternelles avec l'insolence d'un badaud indécis.
Mais rien de ce genre ne s'offrait à l'investigation de ses sens. A vrai dire, il ne sentait même pas d'air, il tenta bien de battre frénétiquement des membres pour éprouver la résistance du milieu ambiant, mais ne se heurta à rien. Et d'ailleurs, à présent qu'il y réfléchissait, il ne sentait pas la caresse chatoyante de l'air qui se presse dans le nez comme un fluide compressé. Il n'y avait pas d'odeurs, non plus, pas la moindre trace du plus petit relent d'identité olfactive.
Julien respirait, toutefois, du moins laissait il aller l'oscillation pendulaire et inconsciente de son diaphragme. En vain, il n'y avait rien de quoi il pouvait garnir ses inspirations.
Ses poumons tournaient à sec, et son coeur battait à vide. Julien vivait à blanc.
Il finit par heurter une résistance, et s'étala docilement sur ce sol inespéré, comme un poids mort résigné.
Il était à genoux, et parcourait de ses mains la surface noire sur laquelle son corps venait d'atterrir.
Il semblait n'y avoir rien, ni qualités ni matière, une simple répulsion, comme le point d'équilibre de deux forces magnétiques opposées.
Il était assez désemparé pour tout dire, devant une telle aridité ontologique. Il était à présent seul, sans rien autour de lui sur quoi fixer son attention, rien que lui, aucun objet sur lequel poser son regard pour oublier cette irritante intimité personnelle.
Il se leva donc avec un certain empressement, visiblement mal à l'aise. Il se sentait bête, voilà tout, affublé de sa conscience centrifuge qui le projetait dans un monde absent. Il se donnait l'impression d'être gauche, inadapté, maladroitement condamné à s'extraire de lui pour s'ouvrir sur un extérieur trop bien caché.
Et pourtant, l'homme ne peut en aucun cas n'avoir conscience de rien. Julien se sentait donc prisonnier, tenu par la nature même de son esprit à chercher un objet sur lequel fixer son attention, mais éternellement frustré dans sa quête par cette vacuité espiègle qui le narguait d'une absence entêtée.
Comment une situation si absurde pouvait elle tenir ? Il aurait été logique que Julien, n'ayant aucune matière à donner à la forme de son appréhension de la réalité, sombre immédiatement, et irrémédiablement peut être dans une inconscience parfaite.
Fort heureusement pour lui, Julien n'eut pas vraiment à se poser la question, dans la mesure où l'énonciation formelle de cette dernière à son esprit était grosse de sa propre réponse.
Il avait évidemment un objet de conscience, il ne pouvait d'ailleurs pas s'en défaire : lui même.
Heureuse disposition de la providence, qui veut qu'il ne puisse logiquement pas n'y avoir rien quelque part pour peu qu'une conscience y soit. La boucle est bouclée, dès lors, cachetée à la cire apodictique d'une nécessité parfaite, l'on ne peut n'avoir conscience de rien. Voilà donc pourquoi il persistait à exister en ce monde laconique à l'extrême, cet univers paresseux partisan du moindre effort qui ne lui offrait rien. Il se prenait lui même comme objet de conscience.
Au fond, quoi de plus banal que cette conversion ? Nous nous retroussons en permanence, avides de vie à l'envers que nous sommes, dans le but de nous regarder avec les yeux médiats des analyses objectives.
Seulement, une chose changeait à cet instant, qui rendait la situation inconfortable. Julien ne se reconnaissait plus. Il se présentait à lui même, et se découvrait comme on ferait connaissance d'un inconnu. C'était singulièrement nouveau, cela, en revanche. D'habitude, nous gardons toujours de notre vie une connaissance privilégiée, immédiate, comme un lit, un fond continu sur lequel, pourquoi pas, nous nous amusons à broder des motifs qui nous vulgarisent à nous mêmes.
Là, rien. Il était sans filet, impalpable, il avait perdu ce liant qui faisait de lui un être continu. Il se pensait, mais ne se vivait plus, il se regardait, s'inspectait, tâchant de retrouver un sens à sa vie, à cette succession d'inflexions de caractère, ces bribes de personnalités, comme un collier de perles sans fil. Mais il ne parvenait à rien, il avait beau additionner les points de vues, multiplier les angles d'analyse, il ne se comprenait pas. Il était pourtant étonnamment lucide, et lisait en lui comme dans un livre ouvert... Mais nul idée, nul concept, nul mot ne pourra jamais restaurer la sourde et diffuse évidence de la vie éprouvée.
C'était d'ailleurs parfaitement agaçant, traumatisant presque. Julien se voyait à présent avec l'efficience d'une acuité intellectuelle parfaite, mais il ne se comprenait pas. Il était une sorte d'assemblage de moments épars, très certainement tous intrinsèquement pertinents, mais dont la composition globale ne rendait aucun sens. Il était asséché, privé de sa fluidité évaporée sous la lumière aveuglante d'une raison surpuissante, la sienne.
En outre, Julien détestait l'introspection. Il souffrait donc en cet instant où nul autre objet ne s'offrait à sa conscience avide. Il regardait désespérément le monde comme on lancerait une bouée au hasard dans un océan de vide infini.
Il finit par le voir, enfin, le phare qui le guiderait hors de lui. Il avait aperçu, au loin, une sorte de point blanc, qui tranchait radicalement avec le noir profond que chacun des autres recoins se bornait à lui proposer. Elle semblait planer haut, comme une étoile dans un ciel de nuit. Qu'importe, Julien se dirigerait vers elle, il le devait pour s'absorber hors de lui même, pour quitter cet étranger dérangeant, pour vivre normalement, en fait.
Il se précipita dans cette direction, et finit même par courir. Il ne sentait pas de fatigue, il n'avait plus vraiment de corps, et aucune résistance ne venait se plaquer contre lui pour freiner son exode.
Pour la première fois depuis son arrivée "ici", il éprouvait une sensation quasi agréable.
Il courait simplement, sans réfléchir. Cela ne tarda d'ailleurs pas à se révéler un tantinet funeste, notamment au moment où Julien manqua de peu de s'étaler de tout son long après avoir, semble-t-il, trébuché sur quelque chose. Voilà qui était du domaine de l'évènement, par ailleurs, car il devait bien y avoir eu quelque chose pour qu'il se prenne les pieds dedans.
Il s'empressa donc, une fois son équilibre rétabli, d'étudier de plus près cet objet salvateur.
Il s'agissait d'une main en fer, dont on ne distinguait pas l'extrémité des doigts, lesquels étaient enfoncés dans le sol. Julien tenta en vain de tirer dessus pour l'extraire, il tâcha même de gratter le sol, mais fut bien vite mis en face de l'inutilité de sa tentative. En effet, à proprement parler, et comme il avait pu le constater il y a peu, il n'y avait pas vraiment de sol, tout au plus une simple résistance, sans matière. Rien à gratter, donc.
Julien ne chercha pas vraiment à comprendre, et se contenta de ce qu'il pouvait voir.
La main était de taille relativement standard, et semblait avoir été brisée à la jointure du poignet.
C'était bien peu, mais il s'en contenterait pour le moment. Il mit un terme à son inspection, et se remit en route vers l'Étoile. Il fut d'ailleurs assez surpris de la revoir, lui qui avait détaché d'elle son regard durant quelques instants. Elle lui parut bien plus grosse à présent, une grosse tâche blanchâtre, parfaitement ronde.
Tout ceci était bien intriguant.
Après quelques instants de marche, Julien retrouva une main de fer sur son passage. Elle était parfaitement similaire à la première, et il n'y prêta pas longtemps attention. A vrai dire, c'était le genre de spectacle dont on se lasse assez vite.
Mais les choses devinrent de plus en plus étonnantes au fil du voyage. Julien était à présent entouré de mains, toutes les mêmes, régulièrement disposées. Il ne pouvait pas les compter, elles s'étendaient à perte de vue, comme un quadrillage implacable. Il se sentait mal, d'ailleurs ! Il était visiblement de trop, et perturbait la régularité géométrique de l'agencement de ce drôle d'univers, comme une case circulaire qui se baladerait sur un échiquier infini. Sa présence jurait avec le reste à un point tel qu'il culpabilisait de vivre, comme un étant non légitime. Il avait l'impression que les mains le regardaient, l'accusaient de leurs yeux inexistants. Il avait froid à présent, simple sensation d'un corps qui l'aurait rassuré il y a peu, mais qui désormais lui était odieuse.
Il avançait le plus vite possible, il n'aimait pas cet endroit, qui le pointait de ses doigts enfoncés comme un impur, une erreur de parcours. Il était prisonnier d'un tissus de relations mathématiquement calibrées entre des entités stables. Il n'en avait pas l'habitude, c'était la première fois. Normalement, tout est lié, baigné par un flot d'être ambiant qui assure la cohésion d'un ensemble, l'inintelligibilité d'une quelconque exclusion, le monde comme tout et les parties solidaires.
Ici, il n'y avait rien. Pas d'air, pas même un sol qui joindrait les mains. Elles étaient uniques, autonomes, extérieurement liées par des fils objectifs qui transperçait Julien comme des rayons de lumière méprisants et glacés.
Et l'Étoile grossissait.
Julien ne la voyait plus tout à fait ronde à présent, il lui semblait qu'elle portait quelque chose sur son sommet...
Elle était grande en tout cas, et narguait la curiosité de Julien qui se pressait à présent vers elle.
"Un récipient de cendre pourrait un jour être lancé du ciel et il pourrait faire flamber la terre et bouillir les océans."
Prophétie Hopi.
Julien avait du s'assoupir durant sa chute. Il planait à présent, et ne voyait plus rien.
Il tombait certes toujours, mais paresseusement, comme une lourde feuille morte.
Étonnant phénomène, car rien ne retenait sa descente. Il pensa d'abord devoir sentir peser sur lui un air dense, chargé d'eau peut être, qui expliquerait que lui, corps lourd, matériel, terrestre, se traîne nonchalamment sur le chemin de l'équilibre des éléments, comme une grosse masse indolente qui se baladerait sur le sentier des vérités éternelles avec l'insolence d'un badaud indécis.
Mais rien de ce genre ne s'offrait à l'investigation de ses sens. A vrai dire, il ne sentait même pas d'air, il tenta bien de battre frénétiquement des membres pour éprouver la résistance du milieu ambiant, mais ne se heurta à rien. Et d'ailleurs, à présent qu'il y réfléchissait, il ne sentait pas la caresse chatoyante de l'air qui se presse dans le nez comme un fluide compressé. Il n'y avait pas d'odeurs, non plus, pas la moindre trace du plus petit relent d'identité olfactive.
Julien respirait, toutefois, du moins laissait il aller l'oscillation pendulaire et inconsciente de son diaphragme. En vain, il n'y avait rien de quoi il pouvait garnir ses inspirations.
Ses poumons tournaient à sec, et son coeur battait à vide. Julien vivait à blanc.
Il finit par heurter une résistance, et s'étala docilement sur ce sol inespéré, comme un poids mort résigné.
Il était à genoux, et parcourait de ses mains la surface noire sur laquelle son corps venait d'atterrir.
Il semblait n'y avoir rien, ni qualités ni matière, une simple répulsion, comme le point d'équilibre de deux forces magnétiques opposées.
Il était assez désemparé pour tout dire, devant une telle aridité ontologique. Il était à présent seul, sans rien autour de lui sur quoi fixer son attention, rien que lui, aucun objet sur lequel poser son regard pour oublier cette irritante intimité personnelle.
Il se leva donc avec un certain empressement, visiblement mal à l'aise. Il se sentait bête, voilà tout, affublé de sa conscience centrifuge qui le projetait dans un monde absent. Il se donnait l'impression d'être gauche, inadapté, maladroitement condamné à s'extraire de lui pour s'ouvrir sur un extérieur trop bien caché.
Et pourtant, l'homme ne peut en aucun cas n'avoir conscience de rien. Julien se sentait donc prisonnier, tenu par la nature même de son esprit à chercher un objet sur lequel fixer son attention, mais éternellement frustré dans sa quête par cette vacuité espiègle qui le narguait d'une absence entêtée.
Comment une situation si absurde pouvait elle tenir ? Il aurait été logique que Julien, n'ayant aucune matière à donner à la forme de son appréhension de la réalité, sombre immédiatement, et irrémédiablement peut être dans une inconscience parfaite.
Fort heureusement pour lui, Julien n'eut pas vraiment à se poser la question, dans la mesure où l'énonciation formelle de cette dernière à son esprit était grosse de sa propre réponse.
Il avait évidemment un objet de conscience, il ne pouvait d'ailleurs pas s'en défaire : lui même.
Heureuse disposition de la providence, qui veut qu'il ne puisse logiquement pas n'y avoir rien quelque part pour peu qu'une conscience y soit. La boucle est bouclée, dès lors, cachetée à la cire apodictique d'une nécessité parfaite, l'on ne peut n'avoir conscience de rien. Voilà donc pourquoi il persistait à exister en ce monde laconique à l'extrême, cet univers paresseux partisan du moindre effort qui ne lui offrait rien. Il se prenait lui même comme objet de conscience.
Au fond, quoi de plus banal que cette conversion ? Nous nous retroussons en permanence, avides de vie à l'envers que nous sommes, dans le but de nous regarder avec les yeux médiats des analyses objectives.
Seulement, une chose changeait à cet instant, qui rendait la situation inconfortable. Julien ne se reconnaissait plus. Il se présentait à lui même, et se découvrait comme on ferait connaissance d'un inconnu. C'était singulièrement nouveau, cela, en revanche. D'habitude, nous gardons toujours de notre vie une connaissance privilégiée, immédiate, comme un lit, un fond continu sur lequel, pourquoi pas, nous nous amusons à broder des motifs qui nous vulgarisent à nous mêmes.
Là, rien. Il était sans filet, impalpable, il avait perdu ce liant qui faisait de lui un être continu. Il se pensait, mais ne se vivait plus, il se regardait, s'inspectait, tâchant de retrouver un sens à sa vie, à cette succession d'inflexions de caractère, ces bribes de personnalités, comme un collier de perles sans fil. Mais il ne parvenait à rien, il avait beau additionner les points de vues, multiplier les angles d'analyse, il ne se comprenait pas. Il était pourtant étonnamment lucide, et lisait en lui comme dans un livre ouvert... Mais nul idée, nul concept, nul mot ne pourra jamais restaurer la sourde et diffuse évidence de la vie éprouvée.
C'était d'ailleurs parfaitement agaçant, traumatisant presque. Julien se voyait à présent avec l'efficience d'une acuité intellectuelle parfaite, mais il ne se comprenait pas. Il était une sorte d'assemblage de moments épars, très certainement tous intrinsèquement pertinents, mais dont la composition globale ne rendait aucun sens. Il était asséché, privé de sa fluidité évaporée sous la lumière aveuglante d'une raison surpuissante, la sienne.
En outre, Julien détestait l'introspection. Il souffrait donc en cet instant où nul autre objet ne s'offrait à sa conscience avide. Il regardait désespérément le monde comme on lancerait une bouée au hasard dans un océan de vide infini.
Il finit par le voir, enfin, le phare qui le guiderait hors de lui. Il avait aperçu, au loin, une sorte de point blanc, qui tranchait radicalement avec le noir profond que chacun des autres recoins se bornait à lui proposer. Elle semblait planer haut, comme une étoile dans un ciel de nuit. Qu'importe, Julien se dirigerait vers elle, il le devait pour s'absorber hors de lui même, pour quitter cet étranger dérangeant, pour vivre normalement, en fait.
Il se précipita dans cette direction, et finit même par courir. Il ne sentait pas de fatigue, il n'avait plus vraiment de corps, et aucune résistance ne venait se plaquer contre lui pour freiner son exode.
Pour la première fois depuis son arrivée "ici", il éprouvait une sensation quasi agréable.
Il courait simplement, sans réfléchir. Cela ne tarda d'ailleurs pas à se révéler un tantinet funeste, notamment au moment où Julien manqua de peu de s'étaler de tout son long après avoir, semble-t-il, trébuché sur quelque chose. Voilà qui était du domaine de l'évènement, par ailleurs, car il devait bien y avoir eu quelque chose pour qu'il se prenne les pieds dedans.
Il s'empressa donc, une fois son équilibre rétabli, d'étudier de plus près cet objet salvateur.
Il s'agissait d'une main en fer, dont on ne distinguait pas l'extrémité des doigts, lesquels étaient enfoncés dans le sol. Julien tenta en vain de tirer dessus pour l'extraire, il tâcha même de gratter le sol, mais fut bien vite mis en face de l'inutilité de sa tentative. En effet, à proprement parler, et comme il avait pu le constater il y a peu, il n'y avait pas vraiment de sol, tout au plus une simple résistance, sans matière. Rien à gratter, donc.
Julien ne chercha pas vraiment à comprendre, et se contenta de ce qu'il pouvait voir.
La main était de taille relativement standard, et semblait avoir été brisée à la jointure du poignet.
C'était bien peu, mais il s'en contenterait pour le moment. Il mit un terme à son inspection, et se remit en route vers l'Étoile. Il fut d'ailleurs assez surpris de la revoir, lui qui avait détaché d'elle son regard durant quelques instants. Elle lui parut bien plus grosse à présent, une grosse tâche blanchâtre, parfaitement ronde.
Tout ceci était bien intriguant.
Après quelques instants de marche, Julien retrouva une main de fer sur son passage. Elle était parfaitement similaire à la première, et il n'y prêta pas longtemps attention. A vrai dire, c'était le genre de spectacle dont on se lasse assez vite.
Mais les choses devinrent de plus en plus étonnantes au fil du voyage. Julien était à présent entouré de mains, toutes les mêmes, régulièrement disposées. Il ne pouvait pas les compter, elles s'étendaient à perte de vue, comme un quadrillage implacable. Il se sentait mal, d'ailleurs ! Il était visiblement de trop, et perturbait la régularité géométrique de l'agencement de ce drôle d'univers, comme une case circulaire qui se baladerait sur un échiquier infini. Sa présence jurait avec le reste à un point tel qu'il culpabilisait de vivre, comme un étant non légitime. Il avait l'impression que les mains le regardaient, l'accusaient de leurs yeux inexistants. Il avait froid à présent, simple sensation d'un corps qui l'aurait rassuré il y a peu, mais qui désormais lui était odieuse.
Il avançait le plus vite possible, il n'aimait pas cet endroit, qui le pointait de ses doigts enfoncés comme un impur, une erreur de parcours. Il était prisonnier d'un tissus de relations mathématiquement calibrées entre des entités stables. Il n'en avait pas l'habitude, c'était la première fois. Normalement, tout est lié, baigné par un flot d'être ambiant qui assure la cohésion d'un ensemble, l'inintelligibilité d'une quelconque exclusion, le monde comme tout et les parties solidaires.
Ici, il n'y avait rien. Pas d'air, pas même un sol qui joindrait les mains. Elles étaient uniques, autonomes, extérieurement liées par des fils objectifs qui transperçait Julien comme des rayons de lumière méprisants et glacés.
Et l'Étoile grossissait.
Julien ne la voyait plus tout à fait ronde à présent, il lui semblait qu'elle portait quelque chose sur son sommet...
Elle était grande en tout cas, et narguait la curiosité de Julien qui se pressait à présent vers elle.
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Prosopopée des astres
(suite)
Il s'arrêta toutefois, lorsqu'il tomba sur une main différente.
Il s'agissait d'un bras, en fait. La main n'était plus seule, et le poignet se prolongeait jusqu'à l'épaule.
Après, en revanche...
Tout ceci était étonnant, l'épaule ne donnait pas l'embryon d'un buste, elle se perdait en un lourd maillage d'anneaux enchevêtrés, comme une vieille chaîne rouillée.
Julien tâcha de suivre la direction de la chaîne des yeux. Elle s'élevait petit à petit. Elle y allait, bien sûr.
L'Étoile.
Julien l'observait à présent, fasciné, et ne fut tiré de son hypnose que par un petit craquement venant du sol. La main avait bougé.
Et de fait, cette main paraissait encore vivante, différente des autres.
Il se pencha pour examiner de plus près, et confirma cette impression. La main vivait, à peine, encore.
Elle était presque un peu chaude. Mais le bras, lui, était déjà mort, rigide et froid comme une tige métallique.
Le craquement se faisait encore entendre, c'était le poignet qui se fendait comme sous l'effet d'un gel. La main mourrait peu à peu.
Il fallut peu de temps pour que l'ensemble céda, et le bras de chaînes s'échappa à grande vitesse, rappelé vers l'Étoile dans un sinistre raclement de métal.
Julien était plus curieux que jamais, et hâta encore un peu plus son pas.
Toutes les mains vivaient à présent, comme les tentacules biomécaniques de l'Étoile bulbaire. Les chaînes s'élevaient vers Elle à rebours, innombrables à présent.
Julien voyait mieux désormais, il discernait l'Étoile.
Elle était coiffée d'un immense échafaudage métallique dentelé, comme une couronne ciselée dans la fonte. C'est à elle que s'accrochaient les chaînes. L'Étoile, Elle, demeurait vierge, pure, insoupçonnable, immaculée de ce ballet laborieux.
Il s'approcha encore, sans La quitter des yeux.
Elle était à présent immense, et remplissait tout l'horizon comme une auréole pleine. Elle était pâle, grise, comme un teint souffreteux.
Enfin, Elle ouvrit ses yeux, laissa ses pupilles fendre son masque. Elle avait les yeux noirs, et le regard dense, pesant, étouffant comme un devoir moral.
Mais Elle ne regardait pas Julien, Elle fixait son attention un peu plus loin.
Julien voulait voir aussi, il se dépêcha de se rendre sur place.
Elle regardait une jeune fille. Une très jolie jeune fille, aux cheveux roux, délicatement déposée dans une magnifique robe d'une blancheur éclatante. Il la connaissait bien, et il la reconnut, bien sûr.
Elle lui faisait face, à genoux, les mains jointes en prière, les yeux clos et le visage penché.
Comme sa grâce était grande, elle tranchait avec le paysage froid comme un soleil d'hiver. Julien ne remarquait plus rien d'autre à présent, il souriait.
Elle l'entendit probablement, car elle redressa sa tête. Elle le reconnut de toute évidence lorsqu'elle ouvrit les yeux, et lui fit un sourire.
Ils auraient pu parler, s'ils avaient eu le temps. Mais la douleur vint avant.
Le doux visage de la jeune fille se crispa soudain en un spasme algésique. Elle ne cria pas, mais porta brièvement ses mains sur sa nuque. Elle se mit en boule un moment, prostrée sur le sol comme un arbre qui laisserait passer la tempête.
Julien aussi sentit quelque chose, mais ce n'était qu'une douleur sourde, timide, comme une lointaine réminiscence, comme la morsure d'un membre fantôme.
La jeune fille se redressa enfin, les mains ensanglantées et les yeux emplis de larmes. Sa belle chevelure rousse était à présent souillée de son sang, et sa robe maculée de rouge.
Elle tendait à présent timidement sa main gauche en direction de l'homme qui lui faisait face, en implorant une aide de son regard embué.
Julien aussi avait passé sa main sur sa nuque, il avait saigné aussi. Ce n'était pas sa peau qu'il avait touchée, mais une vieille plaie à vif, que le temps ne cicatrise pas. Il se souvenait à présent de cette douleur, il ne la voulait plus. Il eut peur à la vue de sa main recouverte de sang, son sang.
Il ne pouvait pas secourir la jeune fille, il n'en avait pas le courage. Il avait peur de souffrir à nouveau.
Il fit quelque pas en arrière, en s'excusant du regard pour cet abandon lâche.
La jeune fille laissa tomber sa main, et cacha ses larmes derrières ses paupières. Elle se remit en prière.
Julien voyait tout à présent, libéré de la fascination que lui avait imposée le charme candide de la petite rousse, et de la craintes des souffrances. Il voyait à présent ce bras de chaîne qui tenait la jeune fille au cou, et qui remontait là haut, vers la couronne.
Le maillage semblait serré, comme tiré sous l'effet d'une prise implacable. En haut, perché sur la couronne de fer, il aperçut l'être qui tirait sur la chaîne de toutes ses forces. Il ressemblait à un homme, il en avait l'allure du moins. Mais il était noir. Pas le noir des maures, un noir de charbon, un noir mort, le noir des corps brûlés.
Il lâcha assez vite la chaîne, et courut le long de la couronne à quatre pattes, avec une agilité animale.
Julien ne distinguait pas très bien, mais l'être semblait être nu, même si aucune trace de nudité n'était clairement suggérée. En réalité, l'être était de forme grossière, comme un dessin d'enfant. Deux jambes, deux bras, un visage à peine esquissé. Comme une sculpture d'anthracite modelée à la va vite, une poupée de cendre.
Il avait disparu, laissant derrière lui comme une traînée de poudre noire. La jeune fille ne bougeait plus, elle était sage à présent, et l'Étoile la regardait toujours. Julien, lui, regardait l'Étoile, il fixait ce regard dont il ne pouvait soutenir l'intensité uniquement parce qu'il ne s'abattait pas sur lui. Il finit par s'inquiéter vraiment pour la jeune fille rousse, qui recevait sans rien dire sur les épaules cette cascade invisible de regards pesants. Sans trop savoir pourquoi, mais il y avait quelque chose de malsain dans ces yeux.
Elle était toujours là, à genoux, elle n'avait pas bougé. Et pourtant, Julien peinait à présent à la reconnaître. Il ne percevait plus ce teint pur, ces cheveux d'un roux chaud et profond. Il fit un pas en sa direction, et elle leva la tête. Julien s'arrêta net. Il ne l'avait jamais vue ainsi. Elle avait bien changé, elle était... adulte à présent. Elle avait perdu les charmes piquants de la jeunesse, et affichait à présent les attraits d'une femme. D'une femme mûre, même. Elle ne les garda pas longtemps, eux non plus. Ils périrent étouffés entre les plis d'une ride. Julien regardait la chevelure grisonnante qui s'éclaircissait sur le crâne, la peau rose et tendue se craqueler à vue d'oeil, et l'élégance des mains se tordre en longs doigts rachitiques.
Elle les posa au sol, d'ailleurs, trop faible pour se tenir à genou.
Julien réalisa enfin. Trop tard.
Il s'élança vers la vieille jeune fille, et lui agrippa les mains. Il pouvait voir de près cette silhouette décharnée, quasiment étendue à présent, qui vivait ses derniers souffles. Il voulait la tirer de toutes ses forces pour la sauver enfin, et racheter sa lâcheté. Plus maintenant.
Le corps de la jeune fille était trop vieux. Sa peau grise, fine, transparente presque, ses membres atrophiés, plus rien ne pouvait vivre. Elle était en sursis sur le fil de la mort.
Pourtant, dans un ultime effort, elle redressa sa tête. Julien pu entendre son vieux cou craquer, et voir de plus près ce visage, autrefois si beau, désormais ravagé d'ornières et affaissé sur lui même. Elle lui sourit enfin, et il put voir ses dents noires, qui tombaient à présent, pourrissant sur le sol comme une noix de beurre noir fondant dans un poêle.
Julien serrait ses mains, il les aimait toujours. C'était une vieille femme qu'il avait devant lui, une mourante, croulant sous le poids des années condensées dans un regard trop dur. Mais, au fin fond des escarres, des rides et des dermes informes, persistait à briller une flamme éternelle, la brillance des yeux verts, l'insolence des yeux d'enfants de la nièce à laquelle il tenait.
Elle était morte à présent, et reposait étendue sur le sol immatériel.
Julien lâcha les mains, et se releva. Il fit quelques pas en arrière, et observa l'Étoile. Il voulait demander pourquoi. Pourquoi dessécher cette vie ?
Mais Elle ne faisait pas cas de lui, il n'était pas de ce monde. Il n'avait plus de chaînes.
Elle semblait satisfaite, ses gros yeux fours répandaient leurs regards brûlants sur le corps de la jeune fille. Mais ils n'avaient plus rien à faire. Ils étaient immolateurs d'esprits, ils cuisaient les culpabilités pour évaporer les âmes, que se souciaient ils d'un cadavre ?
Ils terminaient le travail, toutefois. Bientôt, le corps de la jeune fille fut réduit à un petit tas de poussière grise, d'où émergeait un long bras de chaînes, et une main enfoncée dans le sol, comme tant d'autres.
La poussière s'éleva alors, et se coagula à l'Étoile.
Voilà ce qu'elle était, l'Étoile universelle. Un charnier, une tourbe infâme, purée des corps putréfiés des fidèles qui la prient. Elle survit, vampire cosmique, en parasitant la vie, la jeunesse et la sève des gens qu'elle écrase de son regard morbide. Elle était morgue, exposition des cadavres de vertus que l'on nomme tradition, comme on cache la puanteur des sépulcres à coup d'essences florales. La vie lui faisait peur, elle l'ébouillantait de ses yeux pour en extraire le jus, le condensé formaté dont elle faisait son corps.
Julien, lui avait choisi de vivre. Elle ne l'aurait jamais.
Il exigeait à présent de quitter ce monde, ce cimetière des héros de la justice morale et des bienséances traditionnelles. Ce vivier, cette pisciculture révoltante de martyrs programmés sacrifiant leurs existences, prostituant leurs forces vitales, abandonnant leurs vies pour s'effriter en une part de l'Histoire de la résignation célébrée, des traditions glorifiées, de la répétition sclérosée chantée en cantiques et de la mort elle même érigée en idéal de vie.
Julien, lui, n'entrerait pas dans l'Histoire. Il vivrait, seul peut être, mais unique toujours.
Il se sentait partir à présent, et tout autour de lui s'effaçait.
Il perdit assez vite le sentiment de révolte qui l'avait agité un instant auparavant. Il glissait à présent sur la pente du sommeil.
Il n'était pas de son monde.
Le voyait il encore ?
Non.
S'en rappelait il seulement ?
Peut être pas...
Même plus.
Il s'arrêta toutefois, lorsqu'il tomba sur une main différente.
Il s'agissait d'un bras, en fait. La main n'était plus seule, et le poignet se prolongeait jusqu'à l'épaule.
Après, en revanche...
Tout ceci était étonnant, l'épaule ne donnait pas l'embryon d'un buste, elle se perdait en un lourd maillage d'anneaux enchevêtrés, comme une vieille chaîne rouillée.
Julien tâcha de suivre la direction de la chaîne des yeux. Elle s'élevait petit à petit. Elle y allait, bien sûr.
L'Étoile.
Julien l'observait à présent, fasciné, et ne fut tiré de son hypnose que par un petit craquement venant du sol. La main avait bougé.
Et de fait, cette main paraissait encore vivante, différente des autres.
Il se pencha pour examiner de plus près, et confirma cette impression. La main vivait, à peine, encore.
Elle était presque un peu chaude. Mais le bras, lui, était déjà mort, rigide et froid comme une tige métallique.
Le craquement se faisait encore entendre, c'était le poignet qui se fendait comme sous l'effet d'un gel. La main mourrait peu à peu.
Il fallut peu de temps pour que l'ensemble céda, et le bras de chaînes s'échappa à grande vitesse, rappelé vers l'Étoile dans un sinistre raclement de métal.
Julien était plus curieux que jamais, et hâta encore un peu plus son pas.
Toutes les mains vivaient à présent, comme les tentacules biomécaniques de l'Étoile bulbaire. Les chaînes s'élevaient vers Elle à rebours, innombrables à présent.
Julien voyait mieux désormais, il discernait l'Étoile.
Elle était coiffée d'un immense échafaudage métallique dentelé, comme une couronne ciselée dans la fonte. C'est à elle que s'accrochaient les chaînes. L'Étoile, Elle, demeurait vierge, pure, insoupçonnable, immaculée de ce ballet laborieux.
Il s'approcha encore, sans La quitter des yeux.
Elle était à présent immense, et remplissait tout l'horizon comme une auréole pleine. Elle était pâle, grise, comme un teint souffreteux.
Enfin, Elle ouvrit ses yeux, laissa ses pupilles fendre son masque. Elle avait les yeux noirs, et le regard dense, pesant, étouffant comme un devoir moral.
Mais Elle ne regardait pas Julien, Elle fixait son attention un peu plus loin.
Julien voulait voir aussi, il se dépêcha de se rendre sur place.
Elle regardait une jeune fille. Une très jolie jeune fille, aux cheveux roux, délicatement déposée dans une magnifique robe d'une blancheur éclatante. Il la connaissait bien, et il la reconnut, bien sûr.
Elle lui faisait face, à genoux, les mains jointes en prière, les yeux clos et le visage penché.
Comme sa grâce était grande, elle tranchait avec le paysage froid comme un soleil d'hiver. Julien ne remarquait plus rien d'autre à présent, il souriait.
Elle l'entendit probablement, car elle redressa sa tête. Elle le reconnut de toute évidence lorsqu'elle ouvrit les yeux, et lui fit un sourire.
Ils auraient pu parler, s'ils avaient eu le temps. Mais la douleur vint avant.
Le doux visage de la jeune fille se crispa soudain en un spasme algésique. Elle ne cria pas, mais porta brièvement ses mains sur sa nuque. Elle se mit en boule un moment, prostrée sur le sol comme un arbre qui laisserait passer la tempête.
Julien aussi sentit quelque chose, mais ce n'était qu'une douleur sourde, timide, comme une lointaine réminiscence, comme la morsure d'un membre fantôme.
La jeune fille se redressa enfin, les mains ensanglantées et les yeux emplis de larmes. Sa belle chevelure rousse était à présent souillée de son sang, et sa robe maculée de rouge.
Elle tendait à présent timidement sa main gauche en direction de l'homme qui lui faisait face, en implorant une aide de son regard embué.
Julien aussi avait passé sa main sur sa nuque, il avait saigné aussi. Ce n'était pas sa peau qu'il avait touchée, mais une vieille plaie à vif, que le temps ne cicatrise pas. Il se souvenait à présent de cette douleur, il ne la voulait plus. Il eut peur à la vue de sa main recouverte de sang, son sang.
Il ne pouvait pas secourir la jeune fille, il n'en avait pas le courage. Il avait peur de souffrir à nouveau.
Il fit quelque pas en arrière, en s'excusant du regard pour cet abandon lâche.
La jeune fille laissa tomber sa main, et cacha ses larmes derrières ses paupières. Elle se remit en prière.
Julien voyait tout à présent, libéré de la fascination que lui avait imposée le charme candide de la petite rousse, et de la craintes des souffrances. Il voyait à présent ce bras de chaîne qui tenait la jeune fille au cou, et qui remontait là haut, vers la couronne.
Le maillage semblait serré, comme tiré sous l'effet d'une prise implacable. En haut, perché sur la couronne de fer, il aperçut l'être qui tirait sur la chaîne de toutes ses forces. Il ressemblait à un homme, il en avait l'allure du moins. Mais il était noir. Pas le noir des maures, un noir de charbon, un noir mort, le noir des corps brûlés.
Il lâcha assez vite la chaîne, et courut le long de la couronne à quatre pattes, avec une agilité animale.
Julien ne distinguait pas très bien, mais l'être semblait être nu, même si aucune trace de nudité n'était clairement suggérée. En réalité, l'être était de forme grossière, comme un dessin d'enfant. Deux jambes, deux bras, un visage à peine esquissé. Comme une sculpture d'anthracite modelée à la va vite, une poupée de cendre.
Il avait disparu, laissant derrière lui comme une traînée de poudre noire. La jeune fille ne bougeait plus, elle était sage à présent, et l'Étoile la regardait toujours. Julien, lui, regardait l'Étoile, il fixait ce regard dont il ne pouvait soutenir l'intensité uniquement parce qu'il ne s'abattait pas sur lui. Il finit par s'inquiéter vraiment pour la jeune fille rousse, qui recevait sans rien dire sur les épaules cette cascade invisible de regards pesants. Sans trop savoir pourquoi, mais il y avait quelque chose de malsain dans ces yeux.
Elle était toujours là, à genoux, elle n'avait pas bougé. Et pourtant, Julien peinait à présent à la reconnaître. Il ne percevait plus ce teint pur, ces cheveux d'un roux chaud et profond. Il fit un pas en sa direction, et elle leva la tête. Julien s'arrêta net. Il ne l'avait jamais vue ainsi. Elle avait bien changé, elle était... adulte à présent. Elle avait perdu les charmes piquants de la jeunesse, et affichait à présent les attraits d'une femme. D'une femme mûre, même. Elle ne les garda pas longtemps, eux non plus. Ils périrent étouffés entre les plis d'une ride. Julien regardait la chevelure grisonnante qui s'éclaircissait sur le crâne, la peau rose et tendue se craqueler à vue d'oeil, et l'élégance des mains se tordre en longs doigts rachitiques.
Elle les posa au sol, d'ailleurs, trop faible pour se tenir à genou.
Julien réalisa enfin. Trop tard.
Il s'élança vers la vieille jeune fille, et lui agrippa les mains. Il pouvait voir de près cette silhouette décharnée, quasiment étendue à présent, qui vivait ses derniers souffles. Il voulait la tirer de toutes ses forces pour la sauver enfin, et racheter sa lâcheté. Plus maintenant.
Le corps de la jeune fille était trop vieux. Sa peau grise, fine, transparente presque, ses membres atrophiés, plus rien ne pouvait vivre. Elle était en sursis sur le fil de la mort.
Pourtant, dans un ultime effort, elle redressa sa tête. Julien pu entendre son vieux cou craquer, et voir de plus près ce visage, autrefois si beau, désormais ravagé d'ornières et affaissé sur lui même. Elle lui sourit enfin, et il put voir ses dents noires, qui tombaient à présent, pourrissant sur le sol comme une noix de beurre noir fondant dans un poêle.
Julien serrait ses mains, il les aimait toujours. C'était une vieille femme qu'il avait devant lui, une mourante, croulant sous le poids des années condensées dans un regard trop dur. Mais, au fin fond des escarres, des rides et des dermes informes, persistait à briller une flamme éternelle, la brillance des yeux verts, l'insolence des yeux d'enfants de la nièce à laquelle il tenait.
Elle était morte à présent, et reposait étendue sur le sol immatériel.
Julien lâcha les mains, et se releva. Il fit quelques pas en arrière, et observa l'Étoile. Il voulait demander pourquoi. Pourquoi dessécher cette vie ?
Mais Elle ne faisait pas cas de lui, il n'était pas de ce monde. Il n'avait plus de chaînes.
Elle semblait satisfaite, ses gros yeux fours répandaient leurs regards brûlants sur le corps de la jeune fille. Mais ils n'avaient plus rien à faire. Ils étaient immolateurs d'esprits, ils cuisaient les culpabilités pour évaporer les âmes, que se souciaient ils d'un cadavre ?
Ils terminaient le travail, toutefois. Bientôt, le corps de la jeune fille fut réduit à un petit tas de poussière grise, d'où émergeait un long bras de chaînes, et une main enfoncée dans le sol, comme tant d'autres.
La poussière s'éleva alors, et se coagula à l'Étoile.
Voilà ce qu'elle était, l'Étoile universelle. Un charnier, une tourbe infâme, purée des corps putréfiés des fidèles qui la prient. Elle survit, vampire cosmique, en parasitant la vie, la jeunesse et la sève des gens qu'elle écrase de son regard morbide. Elle était morgue, exposition des cadavres de vertus que l'on nomme tradition, comme on cache la puanteur des sépulcres à coup d'essences florales. La vie lui faisait peur, elle l'ébouillantait de ses yeux pour en extraire le jus, le condensé formaté dont elle faisait son corps.
Julien, lui avait choisi de vivre. Elle ne l'aurait jamais.
Il exigeait à présent de quitter ce monde, ce cimetière des héros de la justice morale et des bienséances traditionnelles. Ce vivier, cette pisciculture révoltante de martyrs programmés sacrifiant leurs existences, prostituant leurs forces vitales, abandonnant leurs vies pour s'effriter en une part de l'Histoire de la résignation célébrée, des traditions glorifiées, de la répétition sclérosée chantée en cantiques et de la mort elle même érigée en idéal de vie.
Julien, lui, n'entrerait pas dans l'Histoire. Il vivrait, seul peut être, mais unique toujours.
Il se sentait partir à présent, et tout autour de lui s'effaçait.
Il perdit assez vite le sentiment de révolte qui l'avait agité un instant auparavant. Il glissait à présent sur la pente du sommeil.
Il n'était pas de son monde.
Le voyait il encore ?
Non.
S'en rappelait il seulement ?
Peut être pas...
Même plus.
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Prosopopée des astres
Acte Vl : Malkhout
"Vautre toi comme font les porcs, et tu seras heureux à leur manière."
Julien Offray de La Mettrie.
Lorsqu’il se réveilla, Julien se trouvait dans une sorte d’atelier. Des outils, plans, machines diverses et variées étaient nonchalamment entreposée là, dans le désordre le plus complet.
La pièce était assez vaste, mais bien qu’elle soit carrée, on ne distinguait que trois de ses murs. Le quatrième était masqué par un imposant rideau rouge, comme la scène d’un spectacle.
Le plus surprenant était probablement la présence, à chaque recoins d’établi, à chaque coin d’étagère, et jusque sur le sol même, d’une multitude de pots remplis de ce qui semblait à première vue être du pâté…
Julien ne se sentait pas vraiment à l’aise dans ce lieu singulier, il y fit quelque pas, jusqu’à finir par entrevoir une silhouette, penchée sur une table, une tranche de pain dans une main, et un marteau dans l’autre.
C’était un homme assez grand, costaud, ayant le visage rond et jovial des bons vivants. Julien le reconnut tout de suite, d’ailleurs.
Messire Offray… quelle surprise…
Le véritable nom de l’homme était Julien Offray, ce nom même que Julien s’était approprié plus tard, par provocation, par jeu.
L’homme leva la tête aussitôt, et reconnut son interlocuteur. Il le salua d’une voix ferme et vigoureuse, presque vulgaire :
Mais ma foi ! C’est bien le jeune Corentin Tossac !
Cela faisait bien longtemps, ami ! Que venez vous faire par ici ?
La réponse était difficile à donner…
- En réalité… j’aimerais déjà savoir ce que c’est, ici…
- Ici ? Facile, ami ! C’est mon atelier, je fabrique des machines !
- Des machines ?
- Parfaitement, ami ! Des machines, des configurations de solides en mouvement telles que le mouvement global n’abolit pas la configuration !
J’adore les machines, voyez ! Nous aimons tous les machines ! Elles nous aiment en retour d’ailleurs, nous sommes tous des machines vous savez !
Mais venez donc ici, sieur Tossac ! Venez regarder de vous-même ! Venez voir , ami privilégié ! Venez déchiffrer la partition de fer de nos ballets intimes !
Et le sieur Offray se leva, il marcha d’un pas vif vers le rideau qui trônait au fond de la pièce. Il s’arrêta un instant devant une cordelette pendante. Il la saisit lentement puis, faisant à présent face à son interlocuteur avec sur les lèvres un grand sourire, s’exclama sur un ton frénétique : « Que la fête commence ! »
Il tira enfin la corde d’un geste vigoureux, avant d’accompagner le grognement des tringles d’un fou rire sonore.
Rien n’aurait pu préparer Julien à ce qu’il allait voir.
Ils étaient tous là. Tous les représentants de la noblesse que Julien avait pu croiser durant sa vie.
Il y avait sa propre famille, ses parents, sa sœur, ses nièces, son neveux. Il y avait le roi et la reine de France, l’Empereur du Saint Empire. Il y avait toutes la noblesse languedocienne, tous les comtes, vicomtes et vicomtesses, tous les barons et seigneurs. Il y avait même la comtesse de Brantosme et son frère.
Ils étaient donc tous là, nus, transparents même. Ils étaient pris dans un tourbillon fou d’ébats sexuels désordonnés, collectifs et totalement débridés dans un enfer de crissements de taule rouillée. La transparence de leur peau laissait tout entrevoir, et Julien pu regarder les pénis à poudre, les vagins à turbines et les coïts sous pression hydraulique. Il pu voir leurs mouvements saccadés, grinçants, les éjaculations d’huile et les orgasmes vaporeux. Il pu entendre leurs cris rauques, impersonnels, inhumains, tels les éructations d’un orgue mal réglé, se mêlant aux frottements, aux battements arythmiques des machines défectueuses, aux coups sourds des chocs métalliques, au raclement insupportable et continu de ses corps lourds dans leurs mouvements désarticulés.
Il les voyait se coincer parfois, dans leur maladresse figée, il voyait les machines défectueuses perdre des pièces. Peu à peu, toutes se désagrégèrent, perdant leurs organes et leurs membres en une multitude de poulies, membranes, courroies en tous genres.
Il est difficile d’estimer le temps que Julien passa à regarder. Pas bien longtemps sûrement, le temps de réaliser.
Il se retourna ensuite vers le sieur Offray, et lui cria la première chose qui passa dans son esprit encore sous le choc :
- Arrêtez ça par pitié !
Vous êtes complètement fou !
- Fou ? Moi ?
Non… je suis bien réglé ! Tenez, constatez donc vous-même !
Et il devint transparent à son tour, fixant Julien de ses yeux en verre soufflé.
Il s’empara alors d’un morceau de pain, qu’il tartina de ce pâté de faisan qui jonchait la pièce, avant de le porter à sa bouche en devisant :
Vous savez, messire Tossac, tout ceci est normal ! Nous sommes des machines vous ai-je dit tout à l’heure !
Croyez vous être différent ? Regardez vous donc !
Tout ceci est naturel ! Que dis-je naturel ? Mécanique ! Mécanique ! Mécanique ! Mécanique ! Mécanique ! Mécanique ! Mécanique ! Mécanique !
Julien ne voulait pas se regarder, il était hors de question qu’il se voit comme ça, comme il voyait le tas de corps décharnés qui gisait non loin, comme il voyait à présent le sieur Offray, dont la gorge semblait obstruée par ce bout de pain qu’il venait d’avaler, empêchant la machine de tourner rond, lui faisant répéter en boucle ce mot qui finissait par devenir odieux.
Tout ce spectacle hideux et ce vacarme assourdissant qui s’accentuait au rythme des craquements des machines firent fuir Julien, qui élança sans réfléchir en arrière, courant à travers l’atelier. Il n’alla pas bien loin, et trébucha finalement, avant de perdre connaissance.
"Vautre toi comme font les porcs, et tu seras heureux à leur manière."
Julien Offray de La Mettrie.
Lorsqu’il se réveilla, Julien se trouvait dans une sorte d’atelier. Des outils, plans, machines diverses et variées étaient nonchalamment entreposée là, dans le désordre le plus complet.
La pièce était assez vaste, mais bien qu’elle soit carrée, on ne distinguait que trois de ses murs. Le quatrième était masqué par un imposant rideau rouge, comme la scène d’un spectacle.
Le plus surprenant était probablement la présence, à chaque recoins d’établi, à chaque coin d’étagère, et jusque sur le sol même, d’une multitude de pots remplis de ce qui semblait à première vue être du pâté…
Julien ne se sentait pas vraiment à l’aise dans ce lieu singulier, il y fit quelque pas, jusqu’à finir par entrevoir une silhouette, penchée sur une table, une tranche de pain dans une main, et un marteau dans l’autre.
C’était un homme assez grand, costaud, ayant le visage rond et jovial des bons vivants. Julien le reconnut tout de suite, d’ailleurs.
Messire Offray… quelle surprise…
Le véritable nom de l’homme était Julien Offray, ce nom même que Julien s’était approprié plus tard, par provocation, par jeu.
L’homme leva la tête aussitôt, et reconnut son interlocuteur. Il le salua d’une voix ferme et vigoureuse, presque vulgaire :
Mais ma foi ! C’est bien le jeune Corentin Tossac !
Cela faisait bien longtemps, ami ! Que venez vous faire par ici ?
La réponse était difficile à donner…
- En réalité… j’aimerais déjà savoir ce que c’est, ici…
- Ici ? Facile, ami ! C’est mon atelier, je fabrique des machines !
- Des machines ?
- Parfaitement, ami ! Des machines, des configurations de solides en mouvement telles que le mouvement global n’abolit pas la configuration !
J’adore les machines, voyez ! Nous aimons tous les machines ! Elles nous aiment en retour d’ailleurs, nous sommes tous des machines vous savez !
Mais venez donc ici, sieur Tossac ! Venez regarder de vous-même ! Venez voir , ami privilégié ! Venez déchiffrer la partition de fer de nos ballets intimes !
Et le sieur Offray se leva, il marcha d’un pas vif vers le rideau qui trônait au fond de la pièce. Il s’arrêta un instant devant une cordelette pendante. Il la saisit lentement puis, faisant à présent face à son interlocuteur avec sur les lèvres un grand sourire, s’exclama sur un ton frénétique : « Que la fête commence ! »
Il tira enfin la corde d’un geste vigoureux, avant d’accompagner le grognement des tringles d’un fou rire sonore.
Rien n’aurait pu préparer Julien à ce qu’il allait voir.
Ils étaient tous là. Tous les représentants de la noblesse que Julien avait pu croiser durant sa vie.
Il y avait sa propre famille, ses parents, sa sœur, ses nièces, son neveux. Il y avait le roi et la reine de France, l’Empereur du Saint Empire. Il y avait toutes la noblesse languedocienne, tous les comtes, vicomtes et vicomtesses, tous les barons et seigneurs. Il y avait même la comtesse de Brantosme et son frère.
Ils étaient donc tous là, nus, transparents même. Ils étaient pris dans un tourbillon fou d’ébats sexuels désordonnés, collectifs et totalement débridés dans un enfer de crissements de taule rouillée. La transparence de leur peau laissait tout entrevoir, et Julien pu regarder les pénis à poudre, les vagins à turbines et les coïts sous pression hydraulique. Il pu voir leurs mouvements saccadés, grinçants, les éjaculations d’huile et les orgasmes vaporeux. Il pu entendre leurs cris rauques, impersonnels, inhumains, tels les éructations d’un orgue mal réglé, se mêlant aux frottements, aux battements arythmiques des machines défectueuses, aux coups sourds des chocs métalliques, au raclement insupportable et continu de ses corps lourds dans leurs mouvements désarticulés.
Il les voyait se coincer parfois, dans leur maladresse figée, il voyait les machines défectueuses perdre des pièces. Peu à peu, toutes se désagrégèrent, perdant leurs organes et leurs membres en une multitude de poulies, membranes, courroies en tous genres.
Il est difficile d’estimer le temps que Julien passa à regarder. Pas bien longtemps sûrement, le temps de réaliser.
Il se retourna ensuite vers le sieur Offray, et lui cria la première chose qui passa dans son esprit encore sous le choc :
- Arrêtez ça par pitié !
Vous êtes complètement fou !
- Fou ? Moi ?
Non… je suis bien réglé ! Tenez, constatez donc vous-même !
Et il devint transparent à son tour, fixant Julien de ses yeux en verre soufflé.
Il s’empara alors d’un morceau de pain, qu’il tartina de ce pâté de faisan qui jonchait la pièce, avant de le porter à sa bouche en devisant :
Vous savez, messire Tossac, tout ceci est normal ! Nous sommes des machines vous ai-je dit tout à l’heure !
Croyez vous être différent ? Regardez vous donc !
Tout ceci est naturel ! Que dis-je naturel ? Mécanique ! Mécanique ! Mécanique ! Mécanique ! Mécanique ! Mécanique ! Mécanique ! Mécanique !
Julien ne voulait pas se regarder, il était hors de question qu’il se voit comme ça, comme il voyait le tas de corps décharnés qui gisait non loin, comme il voyait à présent le sieur Offray, dont la gorge semblait obstruée par ce bout de pain qu’il venait d’avaler, empêchant la machine de tourner rond, lui faisant répéter en boucle ce mot qui finissait par devenir odieux.
Tout ce spectacle hideux et ce vacarme assourdissant qui s’accentuait au rythme des craquements des machines firent fuir Julien, qui élança sans réfléchir en arrière, courant à travers l’atelier. Il n’alla pas bien loin, et trébucha finalement, avant de perdre connaissance.
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Prosopopée des astres
Acte VII : Kéter
"L'art de l'écrivain consiste surtout à nous faire oublier qu'il emploie des mots."
Henri Bergson
Julien avait à présent l'impression d'être éveillé.
Du moins pouvait il apercevoir autour de lui la petite chambre, perdue dans les recoins d'une fermette mal bâtie, en laquelle il avait vraisemblablement fini par s'endormir.
Il avait la sensation d'être conscient, et pouvait même se remémorer l'intégralité des tribulations, dont il ne doutait plus de la nature onirique à présent, qu'il avait effectuées ces derniers instants.
Il en revoyait toutes les scènes. L'homme en cage, les femmes aux reflets de pierre, la fuite éperdue, la cour royale, l'Étoile, et l'atelier lubrique.
Quel affreux cauchemar... Il espérait à présent en être sorti.
Il observait la pièce, singulièrement étendu sur le lit.
Il était allongé sur le dos, les bras en croix qui pendaient sur les côtés jusqu'à effleurer le sol, les jambes droites.
Jusque là rien d'anormal.
Sa tête en revanche, n'était pas là où elle aurait dû être. Elle n'était pas paresseusement enfoncée dans l'oreiller de plumes, elle pendait, en dehors du matelas. Pour tout dire, Julien était même orienté du mauvais côté du lit. Ses jambes s'étendaient là om aurait du reposer sa tête.
Il pouvait donc, de là, voir la quasi totalité de la pièce. A l'envers.
La chambre n'avait pas de meubles, et sans la présence de la porte d'entrée face à lui, il aurait vraiment pu confondre le sol poussiéreux avec le plafond.
Bizarrement, Julien ne s'étonna pas de cette surprenante position. Il se souvenait pourtant très bien s'être endormi en sens inverse, et avait toujours eu le sommeil paisible.
Mais autre chose le tracassait plus que ça.
Il ne pouvait pas bouger.
Il y voyait parfaitement clair, il semblait lucide et ses sens étaient en éveil. Mais il ne pouvait pas bouger.
Il tirait pourtant sur sa volonté, comme un forçat sur sa chaîne. Il commandaient à ses membres de s'agiter, de remuer en une danse frénétique. Rien à faire, il avait cassé la médiation de l'âme au corps.
Il s'arrêta donc, épuisé. Ce n'était pas une fatigue physique, mais une lassitude mentale, il avait épuisé son influx nerveux en messages inutiles, simples bouteilles à la mer adressées à un corps endormi.
Car oui, voilà bien la réponse.
Julien dormait encore. Il était victime de l'illusion qu'on parfois les dormeurs à l'heure de la sieste d'être conscient, et de pouvoir se réveiller à chaque instant. Peine perdue.
Il était las à présent, et voulait en finir avec cette nuit de sommeil. Il en avait vu suffisamment, et voulait maintenant qu'on lui rende les clés de son esprit.
Il souhaitait retrouver le monde qui ment.
Combien de temps allait il devoir supporter cette ultime provocation ? Il était désoeuvré, et ne pouvait rien faire d'autre que ressasser les troubles de ses rêves agités.
Courage, c'était sûrement la dernière épreuve, comme une ligne d'arrivée espiègle qui s'amuserait à reculer sous la foulée des vainqueurs en sursis. Il fallait tenir !
Bientôt il se réveillerait, et quitterait en hâte cette chambre infernale, cette maison malsaine et ce comté maudit.
Il n'aurait jamais dû venir, d'ailleurs. Il n'avait récolté que des ennuis ici. Des soucis, des tracas, des tourments en pagaille. Ça lui apprendra à se soucier des autres ! On ne l'y reprendrait plus, la seconde fois serait la bonne.
Par chance, l'attente ne fut pas longue, et la porte de bois qui trônait au fond de la pièce s'ouvrit bientôt.
Victoire ! C'était probablement son hôte qui venait le réveiller pour le prévenir que le jour était déjà levé. Il viendrait el voir et le secouerait vigoureusement de sa grosse main trapue de paysan, évaporant glorieusement les dernières vapeurs de ces horribles phantasmes oniriques.
Mais il n'en fut rien.
La personne qui venait d'entrer se tenait sur le seuil de la pièce, elle était vêtue de noir.
Elle resta plantée là un moment, sous le regard suppliant de Julien qui cherchait à crier au secours.
Il semblait à Julien qu'il s'agissait d'un homme, ce dont il ne pouvait pas être sûr, sachant qu'il ne distinguait que la moitié inférieure de son corps, qu'il voyait à l'envers, comme ventousée au plafond.
L'homme se mit à marcher. Lentement, pesamment. Il avait les mains croisées derrière le dos, et semblait tenir un objet, dont Julien ne distinguait qu'une moitié, une sorte de long manche en bois.
Il n'y avait plus aucun doute possible à présent, il s'agissait bien d'un homme.
Et pour tout dire, Julien connaissait cette démarche. Du moins, et même si ça pouvait paraître idiot, il lui semblait reconnaître quelque chose dans les rondes lentes que faisait à présent l'inconnu à travers la pièce.
Julien tentait de le suivre du regard quand il passait dans son champ de vision. Il était plus calme à présent, comme bercé par ce rythme lancinant, cette répétition rassurante.
Puis, vint le moment où l'homme s'arrêta. Il se tenait droit, devant la porte, et tournait le dos à Julien.
Il tenait toujours ses bras croisés derrière son dos, et son objet mystérieux.
Il resta là un long moment. Il ne semblait pas pressé.
Soudain, il fit pivoter ses mains, et retourna l'objet qu'il détenait en leur étreinte. Julien put voir l'autre moitié.
Il s'agissait d'un balai. Un simple balai, banal, humble, comme on croiserait partout, jusque dans les cabanes les plus miséreuses.
L'homme le ramena devant lui, et commença à racler le sol, sans rien dire.
Julien le regardait faire en spectateur passif. Il ne pensait à rien, et ne cherchait pas à comprendre ce que faisait cet homme qui venait balayer devant lui.
Il observait le va et viens de l'objet, que l'homme manipulait lentement, avec des gestes amples.
Il vit peu à peu s'élever un nuage de poussière, éparses au début, mais se densifiant au fil du nettoyage.
Il n'y voyait plus grand chose à présent. Il était très surpris, il n'aurait jamais cru ce sol si sale.
Peu à peu, les grains de poussières vinrent se presser sur ses yeux. Il pouvait même les voir un à un désormais, et leurs formes se précisaient au fur et à mesure qu'ils avançaient vers lui.
Ils ressemblaient à des lettres... Oui, c'était bien cela, de minuscules lettres qui volaient en pagaille, innombrables, qui s'agençaient parfois en mots l'espace d'un instant avant de se séparer, capricieuses, pour s'agréger à nouveau ailleurs. Infidèles.
Lorsqu'elles se furent approché suffisamment près, Julien put également constater que les lettres n'étaient pas tracées de la même manière, comme si plusieurs alphabets se mélangeaient en une fine brume typographique. Certaines lettres étaient rondes, douillettes et tendres comme un poème, une déclaration d'amour susurrée à l'oreille ou le serment d'une amitié profonde. Elles étaient bien rares ici.
D'autres étaient droites, rigides, gondées, et s'étalaient dans leur infime portion d'espace avec une rigueur implacable, lisses et polies à l'extrême, comme si le moindre travers, le moindre dépassement était un déshonneur. Elles étaient abondantes, celles ci, en revanche, et ne faisaient pas cas des autres.
Peu à peu arriva un autre type de forme. Il devait venir des couches profondes. Il s'agissait d'une graphie anarchique, saccadée, nerveuse, pointue. L'enfantement de chacune d'elles semblait avoir été douloureux, comme un cri, un vomissement syntaxique. Elles s'imposaient partout à présent, et bousculaient les autres.
Une quatrième famille se laissait voir également. Elle était visible depuis le début, mais Julien n'y avait pas prêté attention. Il s'agissait de grosses lettres fastes, orgueilleusement tracées, percluses de courbes et de pirouettes stylistiques en tous genres. Elles restaient entre elles d'ailleurs, et affichaient un mépris ostensible envers les autres lettres, les simples.
Julien observa longtemps le ballet des lettres, et s'aperçut bien vite d'un singulier phénomène.
Il avait l'impression que les différences s'estompaient peu à peu.
Les Orgueilleuses furent les première à pâtir de ce mal. Elles rétrécissaient à vue d'oeil, et leurs courbes arrogantes se dégonflaient piteusement, comme on crèverait un ballon, et expulsaient le vide dont elles s'étaient gorgées dans un souffle lamentable. Elles se rabougrissaient, se résorbant jusqu'à ne plus dépasser en taille les autres lettres qu'elles écrasaient autrefois. Elles portaient sur elles les stigmates de leur grandeur éphémère, et étouffaient sous le trop plein de matière qu'elles remplissaient de vide il y a peu comme sous une couche de peau morte. Bientôt, la mue se compléta, et les cadavres de fioritures furent rognées par la morsure du temps implacable.
Les Orgueilleuses semblaient mortes à présent, elles étaient petites, droites, rigides, gondées. Elles ne faisaient plus cas des autres.
Les Acérées opposèrent visiblement plus de résistance. Elles étaient trop piquantes pour qu'on les presse.
Mais la lutte était vaine, et le tranchant de leurs pointes s'émoussait rapidement, comme une colère s'apaise, comme un cri qui se perd en échos toujours plus doux, comme une révolte se mate, comme une insurrection légitime retombant en paresse. Elles semblaient limées par le découragement, comme un loup aux crocs plats ou un bandit rangé. Elles aspiraient au repos semble-t-il, à la mort peut-être. A la fin des batailles. Elles se laissaient ronger à présent.
Bientôt, leurs étendards pointus étaient devenus plats, petits, droits, rigides, gondés. Et les Acérées ne faisaient plus cas des autres.
Restaient donc les Moelleuses.
Julien avait l'impression de saisir les assauts que subissaient les lettres rondes. Mais toutes les forces, tous les vents et tempêtes, toutes les pressions, les tensions et les griffures ne faisaient que glisser sur elles. Les Moelleuses étaient trop rondes, insaisissables.
La bataille prit donc fin, et les lettres rondouillettes semblaient avoir gagné. Julien était content. Il les aimait bien, même si elles étaient trop rares. Nulle euphorie dans le camp des vainqueurs, les Moelleuses vaquaient nonchalamment à leurs vol débonnaire. Elles étaient tranquilles à présent, affranchies des passions de la lutte acharnée contre les circonstances hostiles. Elles pourraient s'épanouir, enfin, grandir, se renforcer, puiser dans le puit insondable de leurs ressources infinies la puissance d'un rayonnement éternel.
Hélas non. Elles se reposèrent seulement, vautrées sur un tissus d'habitudes. Elles se laissèrent aller, et glissèrent sur un flot quotidien, une routine apaisante, une vie sans vagues, à la surface des eaux.
Julien put les voir s'épuiser, elles perdaient leur couleur comme le rose fuit les joues des vieillards. Leurs rondeurs se dégonflaient et elles mourraient de l'intérieur, comme une source se tarit, comme un élan qui fatigue, un feu que l'on a pas nourri.
Elles étaient maigres à présent, et leurs ventres étaient plats. Elles étaient toutes petites. Leurs lignes étaient droites et leurs angles rigides. Elles donnaient l'impression d'être enfoncés dans des gonds.
Bientôt, les Moelleuses ne firent plus cas d'elles mêmes.
Elles avaient été les dernières à mourir, quand même, et notamment six d'entre elles, qui luttèrent jusqu'au bout.
Julien ne se souvenait plus du nom des lettres, mais il pouvait les décrire. Il y avait parmi elles, dans le désordre, deux jolis serpentins, un rond pas tout à fait clos terminé par un trait horizontal, un bâton et son point, une longue barre, et une sorte de rond qui semblait porter une cape.
Elles semblaient vigoureuses; et vécurent plus longtemps que les autres. Pas assez pour autant.
Elles finirent pas mourir, et se désagréger. Elles retournèrent parmi les mortes, et se mélangèrent dans l'anonymat.
Elles étaient toutes semblables à présent et se confondaient totalement.
Le spectacle n'avait plus rien d'intéressant, et Julien craignit de s'ennuyer dans cet entourage froid.
Mais il n'en eut pas le temps, et il entendit une voix.
C'était une voix d'homme, plutôt grave, calme et profonde à la fois. Il l'entendait enfin.
Voilà, nous avons fini.
Tu peux me comprendre à présent.
N'oublies jamais ce que tu vas voir, garde cette image au fond de toi, elle te sera utile.
Rappelle toi que je ne serai pas toujours là, tu devras dorénavant la chercher toi même si tu veux la retrouver.
Adieu, jeune ami, souviens toi que la vie est belle pour qui peut la connaître.
נגילה הבה
Julien voulut demander à l'homme d'attendre un instant, mais il ne pouvait pas parler.
Pourquoi avait-il parlé cette fois ? Mais au fond, peut-être n'était ce pas la première.
Pourquoi l'avait-il entendu alors ?
Il n'eut pas le temps de réfléchir, car l'homme claqua des doigts, et le lit sur lequel était étendu Julien se souleva, et pivota vers le bas pour aller se fixer sur le plafond.
Julien put apercevoir la silhouette évanescente de l'homme brun, habillé en robe de prêtre, les bras croisés derrière le dos. Il disparaissait à présent.
Mais surtout... Le sol. Julien pouvait le voir à présent.
C'était lui, débarrassé des mots, de cet intermédiaire faussaire, dépecé de la couche de discours sous laquelle il agonisait autrefois.
Il était là, pleinement, tout entier en une seule image simple, évidente.
Toute sa vie était là, ramassée, condensée en une brillance à vif, une unique et intarissable tonalité affective.
Mais bien plus que lui, Julien voyait le monde.
Le monde entier était là, simple, accessible, évident, débarrassé de la pudeur des consciences subjectives.
Julien avait tout à disposition, il n'avait qu'à se servir et piocher les réponses à ses plus profondes questions.
Il réfléchit un instant à ce qu'il voulait savoir, et trouva bien vite quelque chose.
Il pensait que dans une telle situation, le simple fait d'énoncer la question apporterait la réponse.
Il s'exécuta, donc, et au fil des mots qu'il faisait défiler dans son esprit virent perler des lettres à travers les pores de sa peau, elles s'égrainaient sur le sol comme un filet de sable. Au terme de la formulation de la question, la couche de lettre avait obstruée la réponse, et Julien ne pouvait plus la voir.
Sinistre ironie de l'existence humaine.
Julien avait tout devant lui, mais il ne pouvait rien toucher des mains de son esprit sans le dénaturer.
Il était familier des interrogations sans réponses, des apories des philosophes.
A présent, il avait les réponses, mais il ne pouvait plus se rappeler des questions.
Qu'importe, il fera sans.
Il restera là, simplement, à contempler le monde, à coïncider avec lui en une parfaite osmose gnoséologique.
Il se voyait à présent, débarrassés de ses fards. Il s'était retrouvé.
Il pouvait être lui même.
Enfin.
"L'art de l'écrivain consiste surtout à nous faire oublier qu'il emploie des mots."
Henri Bergson
Julien avait à présent l'impression d'être éveillé.
Du moins pouvait il apercevoir autour de lui la petite chambre, perdue dans les recoins d'une fermette mal bâtie, en laquelle il avait vraisemblablement fini par s'endormir.
Il avait la sensation d'être conscient, et pouvait même se remémorer l'intégralité des tribulations, dont il ne doutait plus de la nature onirique à présent, qu'il avait effectuées ces derniers instants.
Il en revoyait toutes les scènes. L'homme en cage, les femmes aux reflets de pierre, la fuite éperdue, la cour royale, l'Étoile, et l'atelier lubrique.
Quel affreux cauchemar... Il espérait à présent en être sorti.
Il observait la pièce, singulièrement étendu sur le lit.
Il était allongé sur le dos, les bras en croix qui pendaient sur les côtés jusqu'à effleurer le sol, les jambes droites.
Jusque là rien d'anormal.
Sa tête en revanche, n'était pas là où elle aurait dû être. Elle n'était pas paresseusement enfoncée dans l'oreiller de plumes, elle pendait, en dehors du matelas. Pour tout dire, Julien était même orienté du mauvais côté du lit. Ses jambes s'étendaient là om aurait du reposer sa tête.
Il pouvait donc, de là, voir la quasi totalité de la pièce. A l'envers.
La chambre n'avait pas de meubles, et sans la présence de la porte d'entrée face à lui, il aurait vraiment pu confondre le sol poussiéreux avec le plafond.
Bizarrement, Julien ne s'étonna pas de cette surprenante position. Il se souvenait pourtant très bien s'être endormi en sens inverse, et avait toujours eu le sommeil paisible.
Mais autre chose le tracassait plus que ça.
Il ne pouvait pas bouger.
Il y voyait parfaitement clair, il semblait lucide et ses sens étaient en éveil. Mais il ne pouvait pas bouger.
Il tirait pourtant sur sa volonté, comme un forçat sur sa chaîne. Il commandaient à ses membres de s'agiter, de remuer en une danse frénétique. Rien à faire, il avait cassé la médiation de l'âme au corps.
Il s'arrêta donc, épuisé. Ce n'était pas une fatigue physique, mais une lassitude mentale, il avait épuisé son influx nerveux en messages inutiles, simples bouteilles à la mer adressées à un corps endormi.
Car oui, voilà bien la réponse.
Julien dormait encore. Il était victime de l'illusion qu'on parfois les dormeurs à l'heure de la sieste d'être conscient, et de pouvoir se réveiller à chaque instant. Peine perdue.
Il était las à présent, et voulait en finir avec cette nuit de sommeil. Il en avait vu suffisamment, et voulait maintenant qu'on lui rende les clés de son esprit.
Il souhaitait retrouver le monde qui ment.
Combien de temps allait il devoir supporter cette ultime provocation ? Il était désoeuvré, et ne pouvait rien faire d'autre que ressasser les troubles de ses rêves agités.
Courage, c'était sûrement la dernière épreuve, comme une ligne d'arrivée espiègle qui s'amuserait à reculer sous la foulée des vainqueurs en sursis. Il fallait tenir !
Bientôt il se réveillerait, et quitterait en hâte cette chambre infernale, cette maison malsaine et ce comté maudit.
Il n'aurait jamais dû venir, d'ailleurs. Il n'avait récolté que des ennuis ici. Des soucis, des tracas, des tourments en pagaille. Ça lui apprendra à se soucier des autres ! On ne l'y reprendrait plus, la seconde fois serait la bonne.
Par chance, l'attente ne fut pas longue, et la porte de bois qui trônait au fond de la pièce s'ouvrit bientôt.
Victoire ! C'était probablement son hôte qui venait le réveiller pour le prévenir que le jour était déjà levé. Il viendrait el voir et le secouerait vigoureusement de sa grosse main trapue de paysan, évaporant glorieusement les dernières vapeurs de ces horribles phantasmes oniriques.
Mais il n'en fut rien.
La personne qui venait d'entrer se tenait sur le seuil de la pièce, elle était vêtue de noir.
Elle resta plantée là un moment, sous le regard suppliant de Julien qui cherchait à crier au secours.
Il semblait à Julien qu'il s'agissait d'un homme, ce dont il ne pouvait pas être sûr, sachant qu'il ne distinguait que la moitié inférieure de son corps, qu'il voyait à l'envers, comme ventousée au plafond.
L'homme se mit à marcher. Lentement, pesamment. Il avait les mains croisées derrière le dos, et semblait tenir un objet, dont Julien ne distinguait qu'une moitié, une sorte de long manche en bois.
Il n'y avait plus aucun doute possible à présent, il s'agissait bien d'un homme.
Et pour tout dire, Julien connaissait cette démarche. Du moins, et même si ça pouvait paraître idiot, il lui semblait reconnaître quelque chose dans les rondes lentes que faisait à présent l'inconnu à travers la pièce.
Julien tentait de le suivre du regard quand il passait dans son champ de vision. Il était plus calme à présent, comme bercé par ce rythme lancinant, cette répétition rassurante.
Puis, vint le moment où l'homme s'arrêta. Il se tenait droit, devant la porte, et tournait le dos à Julien.
Il tenait toujours ses bras croisés derrière son dos, et son objet mystérieux.
Il resta là un long moment. Il ne semblait pas pressé.
Soudain, il fit pivoter ses mains, et retourna l'objet qu'il détenait en leur étreinte. Julien put voir l'autre moitié.
Il s'agissait d'un balai. Un simple balai, banal, humble, comme on croiserait partout, jusque dans les cabanes les plus miséreuses.
L'homme le ramena devant lui, et commença à racler le sol, sans rien dire.
Julien le regardait faire en spectateur passif. Il ne pensait à rien, et ne cherchait pas à comprendre ce que faisait cet homme qui venait balayer devant lui.
Il observait le va et viens de l'objet, que l'homme manipulait lentement, avec des gestes amples.
Il vit peu à peu s'élever un nuage de poussière, éparses au début, mais se densifiant au fil du nettoyage.
Il n'y voyait plus grand chose à présent. Il était très surpris, il n'aurait jamais cru ce sol si sale.
Peu à peu, les grains de poussières vinrent se presser sur ses yeux. Il pouvait même les voir un à un désormais, et leurs formes se précisaient au fur et à mesure qu'ils avançaient vers lui.
Ils ressemblaient à des lettres... Oui, c'était bien cela, de minuscules lettres qui volaient en pagaille, innombrables, qui s'agençaient parfois en mots l'espace d'un instant avant de se séparer, capricieuses, pour s'agréger à nouveau ailleurs. Infidèles.
Lorsqu'elles se furent approché suffisamment près, Julien put également constater que les lettres n'étaient pas tracées de la même manière, comme si plusieurs alphabets se mélangeaient en une fine brume typographique. Certaines lettres étaient rondes, douillettes et tendres comme un poème, une déclaration d'amour susurrée à l'oreille ou le serment d'une amitié profonde. Elles étaient bien rares ici.
D'autres étaient droites, rigides, gondées, et s'étalaient dans leur infime portion d'espace avec une rigueur implacable, lisses et polies à l'extrême, comme si le moindre travers, le moindre dépassement était un déshonneur. Elles étaient abondantes, celles ci, en revanche, et ne faisaient pas cas des autres.
Peu à peu arriva un autre type de forme. Il devait venir des couches profondes. Il s'agissait d'une graphie anarchique, saccadée, nerveuse, pointue. L'enfantement de chacune d'elles semblait avoir été douloureux, comme un cri, un vomissement syntaxique. Elles s'imposaient partout à présent, et bousculaient les autres.
Une quatrième famille se laissait voir également. Elle était visible depuis le début, mais Julien n'y avait pas prêté attention. Il s'agissait de grosses lettres fastes, orgueilleusement tracées, percluses de courbes et de pirouettes stylistiques en tous genres. Elles restaient entre elles d'ailleurs, et affichaient un mépris ostensible envers les autres lettres, les simples.
Julien observa longtemps le ballet des lettres, et s'aperçut bien vite d'un singulier phénomène.
Il avait l'impression que les différences s'estompaient peu à peu.
Les Orgueilleuses furent les première à pâtir de ce mal. Elles rétrécissaient à vue d'oeil, et leurs courbes arrogantes se dégonflaient piteusement, comme on crèverait un ballon, et expulsaient le vide dont elles s'étaient gorgées dans un souffle lamentable. Elles se rabougrissaient, se résorbant jusqu'à ne plus dépasser en taille les autres lettres qu'elles écrasaient autrefois. Elles portaient sur elles les stigmates de leur grandeur éphémère, et étouffaient sous le trop plein de matière qu'elles remplissaient de vide il y a peu comme sous une couche de peau morte. Bientôt, la mue se compléta, et les cadavres de fioritures furent rognées par la morsure du temps implacable.
Les Orgueilleuses semblaient mortes à présent, elles étaient petites, droites, rigides, gondées. Elles ne faisaient plus cas des autres.
Les Acérées opposèrent visiblement plus de résistance. Elles étaient trop piquantes pour qu'on les presse.
Mais la lutte était vaine, et le tranchant de leurs pointes s'émoussait rapidement, comme une colère s'apaise, comme un cri qui se perd en échos toujours plus doux, comme une révolte se mate, comme une insurrection légitime retombant en paresse. Elles semblaient limées par le découragement, comme un loup aux crocs plats ou un bandit rangé. Elles aspiraient au repos semble-t-il, à la mort peut-être. A la fin des batailles. Elles se laissaient ronger à présent.
Bientôt, leurs étendards pointus étaient devenus plats, petits, droits, rigides, gondés. Et les Acérées ne faisaient plus cas des autres.
Restaient donc les Moelleuses.
Julien avait l'impression de saisir les assauts que subissaient les lettres rondes. Mais toutes les forces, tous les vents et tempêtes, toutes les pressions, les tensions et les griffures ne faisaient que glisser sur elles. Les Moelleuses étaient trop rondes, insaisissables.
La bataille prit donc fin, et les lettres rondouillettes semblaient avoir gagné. Julien était content. Il les aimait bien, même si elles étaient trop rares. Nulle euphorie dans le camp des vainqueurs, les Moelleuses vaquaient nonchalamment à leurs vol débonnaire. Elles étaient tranquilles à présent, affranchies des passions de la lutte acharnée contre les circonstances hostiles. Elles pourraient s'épanouir, enfin, grandir, se renforcer, puiser dans le puit insondable de leurs ressources infinies la puissance d'un rayonnement éternel.
Hélas non. Elles se reposèrent seulement, vautrées sur un tissus d'habitudes. Elles se laissèrent aller, et glissèrent sur un flot quotidien, une routine apaisante, une vie sans vagues, à la surface des eaux.
Julien put les voir s'épuiser, elles perdaient leur couleur comme le rose fuit les joues des vieillards. Leurs rondeurs se dégonflaient et elles mourraient de l'intérieur, comme une source se tarit, comme un élan qui fatigue, un feu que l'on a pas nourri.
Elles étaient maigres à présent, et leurs ventres étaient plats. Elles étaient toutes petites. Leurs lignes étaient droites et leurs angles rigides. Elles donnaient l'impression d'être enfoncés dans des gonds.
Bientôt, les Moelleuses ne firent plus cas d'elles mêmes.
Elles avaient été les dernières à mourir, quand même, et notamment six d'entre elles, qui luttèrent jusqu'au bout.
Julien ne se souvenait plus du nom des lettres, mais il pouvait les décrire. Il y avait parmi elles, dans le désordre, deux jolis serpentins, un rond pas tout à fait clos terminé par un trait horizontal, un bâton et son point, une longue barre, et une sorte de rond qui semblait porter une cape.
Elles semblaient vigoureuses; et vécurent plus longtemps que les autres. Pas assez pour autant.
Elles finirent pas mourir, et se désagréger. Elles retournèrent parmi les mortes, et se mélangèrent dans l'anonymat.
Elles étaient toutes semblables à présent et se confondaient totalement.
Le spectacle n'avait plus rien d'intéressant, et Julien craignit de s'ennuyer dans cet entourage froid.
Mais il n'en eut pas le temps, et il entendit une voix.
C'était une voix d'homme, plutôt grave, calme et profonde à la fois. Il l'entendait enfin.
Voilà, nous avons fini.
Tu peux me comprendre à présent.
N'oublies jamais ce que tu vas voir, garde cette image au fond de toi, elle te sera utile.
Rappelle toi que je ne serai pas toujours là, tu devras dorénavant la chercher toi même si tu veux la retrouver.
Adieu, jeune ami, souviens toi que la vie est belle pour qui peut la connaître.
נגילה הבה
Julien voulut demander à l'homme d'attendre un instant, mais il ne pouvait pas parler.
Pourquoi avait-il parlé cette fois ? Mais au fond, peut-être n'était ce pas la première.
Pourquoi l'avait-il entendu alors ?
Il n'eut pas le temps de réfléchir, car l'homme claqua des doigts, et le lit sur lequel était étendu Julien se souleva, et pivota vers le bas pour aller se fixer sur le plafond.
Julien put apercevoir la silhouette évanescente de l'homme brun, habillé en robe de prêtre, les bras croisés derrière le dos. Il disparaissait à présent.
Mais surtout... Le sol. Julien pouvait le voir à présent.
C'était lui, débarrassé des mots, de cet intermédiaire faussaire, dépecé de la couche de discours sous laquelle il agonisait autrefois.
Il était là, pleinement, tout entier en une seule image simple, évidente.
Toute sa vie était là, ramassée, condensée en une brillance à vif, une unique et intarissable tonalité affective.
Mais bien plus que lui, Julien voyait le monde.
Le monde entier était là, simple, accessible, évident, débarrassé de la pudeur des consciences subjectives.
Julien avait tout à disposition, il n'avait qu'à se servir et piocher les réponses à ses plus profondes questions.
Il réfléchit un instant à ce qu'il voulait savoir, et trouva bien vite quelque chose.
Il pensait que dans une telle situation, le simple fait d'énoncer la question apporterait la réponse.
Il s'exécuta, donc, et au fil des mots qu'il faisait défiler dans son esprit virent perler des lettres à travers les pores de sa peau, elles s'égrainaient sur le sol comme un filet de sable. Au terme de la formulation de la question, la couche de lettre avait obstruée la réponse, et Julien ne pouvait plus la voir.
Sinistre ironie de l'existence humaine.
Julien avait tout devant lui, mais il ne pouvait rien toucher des mains de son esprit sans le dénaturer.
Il était familier des interrogations sans réponses, des apories des philosophes.
A présent, il avait les réponses, mais il ne pouvait plus se rappeler des questions.
Qu'importe, il fera sans.
Il restera là, simplement, à contempler le monde, à coïncider avec lui en une parfaite osmose gnoséologique.
Il se voyait à présent, débarrassés de ses fards. Il s'était retrouvé.
Il pouvait être lui même.
Enfin.
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Prosopopée des astres
Epilogue : Pâques au cours d'eau.
Julien était à présent éveillé.
Plus de doutes à ce sujet, il était conscient, lucide, et pouvait s'appuyer sur la sourde évidence qui aurait pu éviter aux sceptiques de se rendre ridicules.
Il était sorti de son sommeil sans heurts, il était calme.
Il avait ouvert les yeux, simplement, puis s'était assis sur le bord du lit.
Il ne voyait presque rien, le jour n'était pas encore levé. Qu'importe, il ne cherchait pas encore à regarder le monde, il était toujours absorbé par cette ultime vision, par l'ineffable vérité.
Elle s'en allait à présent, comme un souvenir se perd. Julien voulait la retenir pourtant.
En vain, il ne faisait qu'accélérer les choses. Il voulait l'analyser, la comprendre, pour la garder en mémoire, mais, ce faisant, il l'estompait, la gommait en voulant la saisir.
Il dut se résoudre à la regarder partir, passif.
Tant pis, au moins se souviendrait-il qu'elle existe.
Julien n'avait plus sommeil, il se frotta le visage avec ses mains, comme ont fait au réveil pour chasser les engourdissements récalcitrants.
Il constata qu'il avait du sang sur la figure. Un tout petit peu.
Il avait probablement saigné du nez. C'était amusant d'ailleurs, car il n'avait de sang que sur le côté gauche de son visage. Peut-être y avait-il un sens à cela ?
A présent Julien pensait au Balayeur.
Il devait être mort. Julien n'avait croisé que des morts de toute manière, dans ce périple onirique. Ou presque.
Certains n'étaient morts que pour lui, d'autres vivaient encore, en sursis. Tous s'agitaient dans leur vie comme un poisson s'étouffe sur une berge aride.
Qu'importe.
Pour le Balayeur en revanche, il était à peu près sûr, autant que peut l'être un homme prudent.
Il avait appris la nouvelle il y a longtemps.
Julien n'aimait pas la mort. Non pas qu'il la craignait, ou la haïssait d'une quelconque manière, il ne l'aimait simplement pas. Trop de gens aiment la mort, et vivent dans un cimetière.
On les reconnaît aisément, ce sont ceux qui se parfument pour cacher l'odeur des cadavres qu'ils charrient derrière eux.
Julien, lui, se fichait de la mort. Elle ne lui avait jamais fait de mal, et il disparaîtrait à l'instant où elle le frapperait, il n'en souffrirait pas.
Toutefois, certaines morts étaient tristes. Intrinsèquement tristes.
Celle du Balayeur par exemple, car un homme qui meurt c'est un monde qui s'effondre.
Cela n'est pas gênant quand ce monde est convenu, superficiel et fragile. Mais celui du Balayeur était épais, gros d'une originalité confortable.
Hélas, il avait emmené avec lui les clés de ce palais noétique. Les portes s'étaient closes avant que Julien puisse entrer. Il vivait donc dehors, il ne voulait pas entrer ailleurs, il était trop à l'étroit dans les autres modèles de mondes, vilains édifices géométriques aux patrons maladroits érigés sur des sables mouvants.
Julien préférait le dehors, il se pensait libre ainsi, sans pour autant parvenir à se convaincre pleinement.
Il pouvait se sentir partout, certes, mais il savait au fond de lui que c'était le plus sûr moyen de n'arriver nulle part.
Voilà ce qu'il devait faire à présent. Il devait construire. Oublier le monde du Balayeur qui était mort avec l'homme qui l'avait pensé. Il devait créer le sien propre, retrousser ses manches et se mettre à l'ouvrage.
Il devait se faire démiurge. Il devait tenter sa chance, voir ce qu'il pourrait faire, lui, des matériaux que l'on donne à tous. Et le jour viendrait où elles seront nombreuses les personnes qui demanderont asile dans ce palais ingénieux, dans ce monde adéquat.
Joli programme.
Julien souriait, narquois, de son enthousiasme juvénile. Il n'était pas assez bête pour ignorer qu'il fallait se méfier des idées, que le principal danger, pour l'artisan, était de se satisfaire de créer en ersatz, en avatar, en images, bref, en pensée.
Il se leva, donc.
Il fallait qu'il se nettoie. Il n'aimait pas l'odeur, ni le goût du sang séché.
Il marcha à tâtons dans la chambre, et quitta la maison. Par chance, il avait eu le temps de s'habituer à la pénombre, et le jour commençait à poindre.
Il y avait un petit cour d'eau non loin, il s'y dirigea.
Il se mit à genoux et y trompa ses mains. L'eau était froide.
Il réfléchit un instant. Après tout il ne comptait pas se recoucher.
Il se pencha, et plongea sa figure dans l'eau. Cela achèverait de le réveiller, et lui permettrait de nettoyer les stigmates de la nuit.
*********************************************************************************************
Il resta un moment là tête sous l'eau, il prenait plaisir à sentir la morsure vivifiante du froid sur son visage.
Il se redressa bientôt, et resta quelques instants à genoux au bord de la rivière, la figure mouillée et les cheveux ruisselants.
Il souriait, sous le charme du doux plaisir que procure la sérénité de celui qui vient de prendre une décision évidente. Il était temps d'arrêter, il était sûr de lui.
Il se leva, et essuya ce qui restait d'eau dans ses cheveux avec la manche droite de sa chemise.
Après tout, cela avait assez duré. Dix ans, déjà.
Il marcha prudemment dans les hautes herbes qui bordaient le cours d'eau. Il se méfiait des bêtes.
Et du reste, cela n'avait jamais été à lui d'avoir honte.
Il arriva devant la porte de la fermette, tâchant de rester discret pour ne pas réveiller les propriétaires des lieux qui dormaient sûrement encore.
Il était bien le seul à ne pas mériter cela, d'ailleurs, le seul qui pouvait rester fier, brandissant dignement le flambeau familial.
Il entra discrètement, et pénétra dans la chambre. Il avait quelques affaires à reprendre, avant de repartir d'ici.
Oui, voilà bien ce qu'il devait faire, il n'avait que trop tardé. Il reprendrait ce qui était à lui, ce don inébranlable qu'on lui avait fait à sa naissance, ce droit d'être quelqu'un. On ne pouvait lui reprendre.
Il arrangea sommairement les draps rapiécés et troués sur lesquels il avait dormi, et y déposa quelques pièces pour remercier ses hôtes. Pas beaucoup, il ne roulait pas sur l'or. Il avait voulu sa vie ainsi, et en regrettait rien.
Il était dehors à présent, avec en face de lui un long ruban de terre.
Il marcha lentement. Il se sentait un autre, comme un vieil ami que l'on recroise, ému, après une longue dispute.
Il lui tardait de refaire connaissance, de retrouver la sensation d'être lui.
Il se sentait tout neuf, dans ces vieux habits qui semblaient lui aller encore.
Où allait il se diriger ? Constant l'ignorait.
Au fond, il y avait tellement de choses à faire.
Là n'était pas l'important.
Julien était à présent éveillé.
Plus de doutes à ce sujet, il était conscient, lucide, et pouvait s'appuyer sur la sourde évidence qui aurait pu éviter aux sceptiques de se rendre ridicules.
Il était sorti de son sommeil sans heurts, il était calme.
Il avait ouvert les yeux, simplement, puis s'était assis sur le bord du lit.
Il ne voyait presque rien, le jour n'était pas encore levé. Qu'importe, il ne cherchait pas encore à regarder le monde, il était toujours absorbé par cette ultime vision, par l'ineffable vérité.
Elle s'en allait à présent, comme un souvenir se perd. Julien voulait la retenir pourtant.
En vain, il ne faisait qu'accélérer les choses. Il voulait l'analyser, la comprendre, pour la garder en mémoire, mais, ce faisant, il l'estompait, la gommait en voulant la saisir.
Il dut se résoudre à la regarder partir, passif.
Tant pis, au moins se souviendrait-il qu'elle existe.
Julien n'avait plus sommeil, il se frotta le visage avec ses mains, comme ont fait au réveil pour chasser les engourdissements récalcitrants.
Il constata qu'il avait du sang sur la figure. Un tout petit peu.
Il avait probablement saigné du nez. C'était amusant d'ailleurs, car il n'avait de sang que sur le côté gauche de son visage. Peut-être y avait-il un sens à cela ?
A présent Julien pensait au Balayeur.
Il devait être mort. Julien n'avait croisé que des morts de toute manière, dans ce périple onirique. Ou presque.
Certains n'étaient morts que pour lui, d'autres vivaient encore, en sursis. Tous s'agitaient dans leur vie comme un poisson s'étouffe sur une berge aride.
Qu'importe.
Pour le Balayeur en revanche, il était à peu près sûr, autant que peut l'être un homme prudent.
Il avait appris la nouvelle il y a longtemps.
Julien n'aimait pas la mort. Non pas qu'il la craignait, ou la haïssait d'une quelconque manière, il ne l'aimait simplement pas. Trop de gens aiment la mort, et vivent dans un cimetière.
On les reconnaît aisément, ce sont ceux qui se parfument pour cacher l'odeur des cadavres qu'ils charrient derrière eux.
Julien, lui, se fichait de la mort. Elle ne lui avait jamais fait de mal, et il disparaîtrait à l'instant où elle le frapperait, il n'en souffrirait pas.
Toutefois, certaines morts étaient tristes. Intrinsèquement tristes.
Celle du Balayeur par exemple, car un homme qui meurt c'est un monde qui s'effondre.
Cela n'est pas gênant quand ce monde est convenu, superficiel et fragile. Mais celui du Balayeur était épais, gros d'une originalité confortable.
Hélas, il avait emmené avec lui les clés de ce palais noétique. Les portes s'étaient closes avant que Julien puisse entrer. Il vivait donc dehors, il ne voulait pas entrer ailleurs, il était trop à l'étroit dans les autres modèles de mondes, vilains édifices géométriques aux patrons maladroits érigés sur des sables mouvants.
Julien préférait le dehors, il se pensait libre ainsi, sans pour autant parvenir à se convaincre pleinement.
Il pouvait se sentir partout, certes, mais il savait au fond de lui que c'était le plus sûr moyen de n'arriver nulle part.
Voilà ce qu'il devait faire à présent. Il devait construire. Oublier le monde du Balayeur qui était mort avec l'homme qui l'avait pensé. Il devait créer le sien propre, retrousser ses manches et se mettre à l'ouvrage.
Il devait se faire démiurge. Il devait tenter sa chance, voir ce qu'il pourrait faire, lui, des matériaux que l'on donne à tous. Et le jour viendrait où elles seront nombreuses les personnes qui demanderont asile dans ce palais ingénieux, dans ce monde adéquat.
Joli programme.
Julien souriait, narquois, de son enthousiasme juvénile. Il n'était pas assez bête pour ignorer qu'il fallait se méfier des idées, que le principal danger, pour l'artisan, était de se satisfaire de créer en ersatz, en avatar, en images, bref, en pensée.
Il se leva, donc.
Il fallait qu'il se nettoie. Il n'aimait pas l'odeur, ni le goût du sang séché.
Il marcha à tâtons dans la chambre, et quitta la maison. Par chance, il avait eu le temps de s'habituer à la pénombre, et le jour commençait à poindre.
Il y avait un petit cour d'eau non loin, il s'y dirigea.
Il se mit à genoux et y trompa ses mains. L'eau était froide.
Il réfléchit un instant. Après tout il ne comptait pas se recoucher.
Il se pencha, et plongea sa figure dans l'eau. Cela achèverait de le réveiller, et lui permettrait de nettoyer les stigmates de la nuit.
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Il resta un moment là tête sous l'eau, il prenait plaisir à sentir la morsure vivifiante du froid sur son visage.
Il se redressa bientôt, et resta quelques instants à genoux au bord de la rivière, la figure mouillée et les cheveux ruisselants.
Il souriait, sous le charme du doux plaisir que procure la sérénité de celui qui vient de prendre une décision évidente. Il était temps d'arrêter, il était sûr de lui.
Il se leva, et essuya ce qui restait d'eau dans ses cheveux avec la manche droite de sa chemise.
Après tout, cela avait assez duré. Dix ans, déjà.
Il marcha prudemment dans les hautes herbes qui bordaient le cours d'eau. Il se méfiait des bêtes.
Et du reste, cela n'avait jamais été à lui d'avoir honte.
Il arriva devant la porte de la fermette, tâchant de rester discret pour ne pas réveiller les propriétaires des lieux qui dormaient sûrement encore.
Il était bien le seul à ne pas mériter cela, d'ailleurs, le seul qui pouvait rester fier, brandissant dignement le flambeau familial.
Il entra discrètement, et pénétra dans la chambre. Il avait quelques affaires à reprendre, avant de repartir d'ici.
Oui, voilà bien ce qu'il devait faire, il n'avait que trop tardé. Il reprendrait ce qui était à lui, ce don inébranlable qu'on lui avait fait à sa naissance, ce droit d'être quelqu'un. On ne pouvait lui reprendre.
Il arrangea sommairement les draps rapiécés et troués sur lesquels il avait dormi, et y déposa quelques pièces pour remercier ses hôtes. Pas beaucoup, il ne roulait pas sur l'or. Il avait voulu sa vie ainsi, et en regrettait rien.
Il était dehors à présent, avec en face de lui un long ruban de terre.
Il marcha lentement. Il se sentait un autre, comme un vieil ami que l'on recroise, ému, après une longue dispute.
Il lui tardait de refaire connaissance, de retrouver la sensation d'être lui.
Il se sentait tout neuf, dans ces vieux habits qui semblaient lui aller encore.
Où allait il se diriger ? Constant l'ignorait.
Au fond, il y avait tellement de choses à faire.
Là n'était pas l'important.
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Constant et le voyage
Lieu : Sur la route entre le Languedoc et Albi, Gargote d'Armagnac
Personnages impliqués : Constant Corteis
Date : Fin juillet 1456, environ
Cadre : Ce RP fait le lien entre l'épisode de la prosopopée et celui de la tour d'astrologie (le premier et le dernier posts sont perdus, ainsi que ceux d'Odoacre). Nous n'avons plus non plus le titre exact du topic, qui rassemblait beaucoup d'intervenants, bien que Constant, lui, reste seul.
En gros, Constant est sur la route depuis le Languedoc pour aller rejoindre Wiatt à Albi, il s'est arrêté à Lodève pour passer une nuit au bordel en compagnie de sa fausse épouse (le RP a été coupé par le nouveau forum, ainsi que l'accès aux posts). Il termine à Villefranche, où il se fait assommer dans son sommeil et enlever par Odoacre.
_______
[Entre Millau et Rodez]
Constant marchait à présent depuis plusieurs heures, entre Millau et Rodez.
Il faisait chaud.
Il était parti tôt le matin, en hâte visiblement. Pressé d'en finir avec une nuit trop curieuse.
Il ne pensait pas, il marchait simplement. Il courait après le privilège des marcheurs qui peuvent refouler les sentiments trop lourds, trop patauds pour les suivre, les remords suintants, les gras soucis, les fantasmes refoulés revenant frapper aux portes de l'esprit pour réclamer de vivre, les tracas adipeux qui pèsent sur les consciences, les vérités de poix, les évidences visqueuses que l'on met en cabane comme un enfant indolent qu'on enverrait au coin, les afflictions d'hier, desséchées comme des spectres, comme un fluide ténu, un être en fil de fer, fragile et sans sève, sans corps, épaisseur, sans densité ni poids, sans un poil de pudeur dans son horrible voix hurlant à la mort comme un loup affamé, à l'affût d'une fissure, une brèche à combler, pour sortir, enfin, éclatant au visage de son auteur, son père, son sujet à la fois, dans un râle inaudible, une détresse en sourdine attaquée par la rouille, par la morsure avide de la roue du destin, qui nous pousse vers l'oubli, la désertion de soi .
L'homme qui marche a toujours un mètre d'avance sur sa conscience.
Et aujourd'hui, Constant avait besoin de cette distance à soi, de ce tampon d'espace, de ce buvard de vide dans lequel s'imbiberont les remous de son âme.
Il le savait, d'ailleurs. Il s'y attendait depuis quelques jours, diantre !
Un rêve ne vient jamais seul. Au contraire, il s'installe, se répand, se déverse en l'esprit. Il pond, même.
Des embryons, des larves, des oeufs mous, palpitants, crépitants d'une vie haïssable, obstinément déterminés à vivre bien que personne ne veuille d'eux.
Et un beau jour, les embryons s'épanouissent, les oeufs éclosent, et les larves dégénèrent en incurables bubons noématiques transpirant leurs idiomes en vapeur de discours, en champignons d'idées ventousant leur chair flasque au fumier d'un esprit mal réglé, en furoncles des âmes purulents d'un pus moite de sens.
Et les rêves affleurent. Ils font mal, souvent.
Constant était parasité en ces instants. Il sentait s'agiter cette vie grouillante, comme un bouillonnement d'âme, comme une poignée d'asticots, de ténias spiritophages.
Il n'était plus tout seul. Le rêve était là.
Il était venu la nuit précédente.
Constant était épuisé à présent. Le soleil tapait dur, et son rythme avait été soutenu jusqu'à présent.
Il devait se reposer.
Il trouva un coin d'ombre, au bord de la route, au pied d'un arbre. Il s'allongea ici.
Il ne dormira pas, ô que non ! Trop dangereux.
Mais il pensait à présent. Il n'y pouvait plus rien.
Il le revoyait, ce rêve. Il la revoyait, cette fille qu'il avait rencontrée auparavant, en d'étranges circonstances.
Il se revoyait, lui même, crucifié.
Il ne souffrait pas pourtant. Il scrutait les alentours, dressé sur son socle de bois au sommet d'une colline. Il n'y avait rien à voir si ce n'était, à perte de vue, un immense champ de coquelicots.
Et elle, bien sûr. Cette jeune fille aux cheveux longs, qui courait, sautillante et pieds nus autour de lui.
Elle était toujours aussi jolie, dans sa fraîcheur géorgique et sa gaieté infantile. Elle lui parlait de sa voix douce, en trottinant autour de lui, laissant parfois échapper une perle de rire, ou un regard timide :
Je t'aime tellement, tu sais !
Je voudrais être toujours là avec toi !
Elle rougit à cet instant, et dessina de ses lèvres un petit sourire malicieux.
Comme c'est sot, ce que je dis !
Elle laissa échapper un petit rire délicat et fragile, comme un gloussement élégant.
Quelle camouflet quand même !
Je regrette de voir que je m'absorbe si bien en des mots si banals...
Après tout, peut-être suis-je tout simplement bête... Tu le penses, dis-moi ?
Constant ne pouvait pas répondre. Plus le moindre filet d'air ne passait dans ses poumons compressés par l'étirement de son corps.
Je fais des efforts pourtant...
Il me semble qu'à tout prendre, c'est bien l'esprit qui compte. C'est par lui que je voudrais te plaire...
La jeune fille cavalait toujours dans l'herbe, sifflotant chantonnant entre deux paroles.
Elle cueillait des coquelicots à présent.
Tu te souviens de la caverne de pierre ? Nous nous sommes effleurés alors, au coeur des montagnes, au sommet des collines. Mais ce fut si bref...
Crois tu qu'un jour nous pourrons faire mieux ?
La jeune fille était maintenant dans son dos, et Constant ne pouvait plus la regarder. Elle devait rougir encore. Comme elle devait être belle, aussi rouge que ses fleurs.
Je l'espère pour ma part. Je me prends à rêver, parfois, qu'un jour nous nous réunirons.
Pourquoi ne pas nous embrasser dans un champ de coquelicots ?
La jeune fille réapparut alors, elle tenait un bouquet de fleurs, qu'elle tendait vers lui :
Tiens, c'est pour toi !
J'ai longtemps cherché, tu sais, comment faire pour cueillir ces fleurs si fragiles. Elles sont si belles, mais elles meurent si vite. Comme un amour sincère, pensais-je !
Mais en réalité il existe un moyen de les rendre pérennes. Il faut les cautériser un peu, et la sève ne goutte plus.
Je voudrais brûler mon coeur, moi aussi. Comme ça mon amour pour toi resterait bien au chaud pour toujours. C'est possible je pense !
La jeune fille était à présent assise sur un muret de pierre, elle semblait attendre. Non pas une personne, car il était évident que personne ne viendrait, mais un destin capricieux. Elle parlait encore, en regardant le ciel :
J'ai peur, tu sais.
Parfois, je pense qu'il vaudrait mieux mourir.
Mais attention, il n'y a rien chez moi des fades désespérances de l'amante éconduite ! Laissons les sentiments grossiers aux poètes populaires.
Je ne crains pas d'être séparée de toi. Je t'ai aimé presque sans te connaître, et je puis continuer !
J'ai juste peur de ne plus t'aimer un jour. J'ai gravé mon amour dans le marbre, pourtant ! Mais même la pierre s'érode. Je les vois comme ingérences d'une étrangère à moi, les pensées désincarnées que je nourrirai peut être, étant devenue femme, envers l'amour vaincu qui m'unissait à toi.
Mais j'ai du caractère, sais-tu ! Et je ne laisserai pas mes avatars en puissance, et le temps dictateur qui les engendre triompher de ma volonté.
Penses y.. Quoi de plus triste que de penser qu'à présent je t'aime, sans ambages ni pudeur, et qu'un jour, peut-être, je t'aurai oublié, et apprendrai ta mort sans une larme dans les yeux ?
Non ! Cela ne sera pas ! Je ne laisserai pas mourir mon amour. Je mourrai moi, plutôt !
Je me tuerai de bon coeur pour qu'il vive éternellement. Je rendrai le script de ma vie à la postérité, car c'est ainsi que je veux que l'on me retienne, amoureuse et dévouée.
Il m'arrive souvent d'y penser, et de prendre la résolution d'entériner mon amour pour toi d'un suicide exalté. Je voudrais tant lui offrir cette patente d'éternité, je souhaiterais si fort que la cire encore chaude et informe d'un avenir que je hais déjà puisse se voir écrasée, matée par le sceau définitif qui cachettera enfin la valeur officielle à jamais de mon statut d'amoureuse.
Mais, hélas, j'ai toujours été faible, et ai toujours pris la fuite au moment de faire l'ultime geste.
Je me revois, hésitante, caressant mon cou nu de la froideur d'une lame. Je n'ai jamais osé, encore, l'enfoncer dans mes chairs, et couper ce fil de vie que l'on tire malgré moi vers des cieux inconnus.
Peut-être est-ce la peur de la morsure du fer ?
Il me semble que non pourtant.
Car cet acte devrait être une fête ! Je devrais me ramasser, me compresser en un acte unique, ultime, définitif. Je ne serais alors plus que cette volonté de mort qui se projette en toi. Quel ravissement sera-ce, lorsque, sur le fil du rasoir, perchée sur cet instant indicible durant lequel je serai vivante et morte, cette frontière impalpable qui séparera ma mort de ma vie, je pourrai enfin être en osmose avec toi.
Et la douleur, qu'importe ! Elle sera un plaisir, un délice raffiné, une ivresse érotique, l'expression écorchée de l'amour qui me ronge !
Oh, mon amour, je te promets qu'un jour je serai forte, suffisamment pour m'anéantir, m'annihiler, m'abolir, enfin, pour que vive mon amour, autonome, autarcique.
Je mourrai, je le jure, dans l'accouchement provoqué de ce chef d'œuvre à maturité, qui volera désormais de ses ailes infinies dans le ciel éternel !
La jeune fille s'arrêtait ainsi, et le rêve avec elle.
Constant s'était réveillé à l'aube. Il avait pris la route ensuite, rapidement.
Il ne connaissait toujours pas le nom de la jeune fille.
Il se reposa quelques instants, juste ce qu'il fallait, et se remit en route.
Il arriverait à Rodez, bientôt.
Personnages impliqués : Constant Corteis
Date : Fin juillet 1456, environ
Cadre : Ce RP fait le lien entre l'épisode de la prosopopée et celui de la tour d'astrologie (le premier et le dernier posts sont perdus, ainsi que ceux d'Odoacre). Nous n'avons plus non plus le titre exact du topic, qui rassemblait beaucoup d'intervenants, bien que Constant, lui, reste seul.
En gros, Constant est sur la route depuis le Languedoc pour aller rejoindre Wiatt à Albi, il s'est arrêté à Lodève pour passer une nuit au bordel en compagnie de sa fausse épouse (le RP a été coupé par le nouveau forum, ainsi que l'accès aux posts). Il termine à Villefranche, où il se fait assommer dans son sommeil et enlever par Odoacre.
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[Entre Millau et Rodez]
Constant marchait à présent depuis plusieurs heures, entre Millau et Rodez.
Il faisait chaud.
Il était parti tôt le matin, en hâte visiblement. Pressé d'en finir avec une nuit trop curieuse.
Il ne pensait pas, il marchait simplement. Il courait après le privilège des marcheurs qui peuvent refouler les sentiments trop lourds, trop patauds pour les suivre, les remords suintants, les gras soucis, les fantasmes refoulés revenant frapper aux portes de l'esprit pour réclamer de vivre, les tracas adipeux qui pèsent sur les consciences, les vérités de poix, les évidences visqueuses que l'on met en cabane comme un enfant indolent qu'on enverrait au coin, les afflictions d'hier, desséchées comme des spectres, comme un fluide ténu, un être en fil de fer, fragile et sans sève, sans corps, épaisseur, sans densité ni poids, sans un poil de pudeur dans son horrible voix hurlant à la mort comme un loup affamé, à l'affût d'une fissure, une brèche à combler, pour sortir, enfin, éclatant au visage de son auteur, son père, son sujet à la fois, dans un râle inaudible, une détresse en sourdine attaquée par la rouille, par la morsure avide de la roue du destin, qui nous pousse vers l'oubli, la désertion de soi .
L'homme qui marche a toujours un mètre d'avance sur sa conscience.
Et aujourd'hui, Constant avait besoin de cette distance à soi, de ce tampon d'espace, de ce buvard de vide dans lequel s'imbiberont les remous de son âme.
Il le savait, d'ailleurs. Il s'y attendait depuis quelques jours, diantre !
Un rêve ne vient jamais seul. Au contraire, il s'installe, se répand, se déverse en l'esprit. Il pond, même.
Des embryons, des larves, des oeufs mous, palpitants, crépitants d'une vie haïssable, obstinément déterminés à vivre bien que personne ne veuille d'eux.
Et un beau jour, les embryons s'épanouissent, les oeufs éclosent, et les larves dégénèrent en incurables bubons noématiques transpirant leurs idiomes en vapeur de discours, en champignons d'idées ventousant leur chair flasque au fumier d'un esprit mal réglé, en furoncles des âmes purulents d'un pus moite de sens.
Et les rêves affleurent. Ils font mal, souvent.
Constant était parasité en ces instants. Il sentait s'agiter cette vie grouillante, comme un bouillonnement d'âme, comme une poignée d'asticots, de ténias spiritophages.
Il n'était plus tout seul. Le rêve était là.
Il était venu la nuit précédente.
Constant était épuisé à présent. Le soleil tapait dur, et son rythme avait été soutenu jusqu'à présent.
Il devait se reposer.
Il trouva un coin d'ombre, au bord de la route, au pied d'un arbre. Il s'allongea ici.
Il ne dormira pas, ô que non ! Trop dangereux.
Mais il pensait à présent. Il n'y pouvait plus rien.
Il le revoyait, ce rêve. Il la revoyait, cette fille qu'il avait rencontrée auparavant, en d'étranges circonstances.
Il se revoyait, lui même, crucifié.
Il ne souffrait pas pourtant. Il scrutait les alentours, dressé sur son socle de bois au sommet d'une colline. Il n'y avait rien à voir si ce n'était, à perte de vue, un immense champ de coquelicots.
Et elle, bien sûr. Cette jeune fille aux cheveux longs, qui courait, sautillante et pieds nus autour de lui.
Elle était toujours aussi jolie, dans sa fraîcheur géorgique et sa gaieté infantile. Elle lui parlait de sa voix douce, en trottinant autour de lui, laissant parfois échapper une perle de rire, ou un regard timide :
Je t'aime tellement, tu sais !
Je voudrais être toujours là avec toi !
Elle rougit à cet instant, et dessina de ses lèvres un petit sourire malicieux.
Comme c'est sot, ce que je dis !
Elle laissa échapper un petit rire délicat et fragile, comme un gloussement élégant.
Quelle camouflet quand même !
Je regrette de voir que je m'absorbe si bien en des mots si banals...
Après tout, peut-être suis-je tout simplement bête... Tu le penses, dis-moi ?
Constant ne pouvait pas répondre. Plus le moindre filet d'air ne passait dans ses poumons compressés par l'étirement de son corps.
Je fais des efforts pourtant...
Il me semble qu'à tout prendre, c'est bien l'esprit qui compte. C'est par lui que je voudrais te plaire...
La jeune fille cavalait toujours dans l'herbe, sifflotant chantonnant entre deux paroles.
Elle cueillait des coquelicots à présent.
Tu te souviens de la caverne de pierre ? Nous nous sommes effleurés alors, au coeur des montagnes, au sommet des collines. Mais ce fut si bref...
Crois tu qu'un jour nous pourrons faire mieux ?
La jeune fille était maintenant dans son dos, et Constant ne pouvait plus la regarder. Elle devait rougir encore. Comme elle devait être belle, aussi rouge que ses fleurs.
Je l'espère pour ma part. Je me prends à rêver, parfois, qu'un jour nous nous réunirons.
Pourquoi ne pas nous embrasser dans un champ de coquelicots ?
La jeune fille réapparut alors, elle tenait un bouquet de fleurs, qu'elle tendait vers lui :
Tiens, c'est pour toi !
J'ai longtemps cherché, tu sais, comment faire pour cueillir ces fleurs si fragiles. Elles sont si belles, mais elles meurent si vite. Comme un amour sincère, pensais-je !
Mais en réalité il existe un moyen de les rendre pérennes. Il faut les cautériser un peu, et la sève ne goutte plus.
Je voudrais brûler mon coeur, moi aussi. Comme ça mon amour pour toi resterait bien au chaud pour toujours. C'est possible je pense !
La jeune fille était à présent assise sur un muret de pierre, elle semblait attendre. Non pas une personne, car il était évident que personne ne viendrait, mais un destin capricieux. Elle parlait encore, en regardant le ciel :
J'ai peur, tu sais.
Parfois, je pense qu'il vaudrait mieux mourir.
Mais attention, il n'y a rien chez moi des fades désespérances de l'amante éconduite ! Laissons les sentiments grossiers aux poètes populaires.
Je ne crains pas d'être séparée de toi. Je t'ai aimé presque sans te connaître, et je puis continuer !
J'ai juste peur de ne plus t'aimer un jour. J'ai gravé mon amour dans le marbre, pourtant ! Mais même la pierre s'érode. Je les vois comme ingérences d'une étrangère à moi, les pensées désincarnées que je nourrirai peut être, étant devenue femme, envers l'amour vaincu qui m'unissait à toi.
Mais j'ai du caractère, sais-tu ! Et je ne laisserai pas mes avatars en puissance, et le temps dictateur qui les engendre triompher de ma volonté.
Penses y.. Quoi de plus triste que de penser qu'à présent je t'aime, sans ambages ni pudeur, et qu'un jour, peut-être, je t'aurai oublié, et apprendrai ta mort sans une larme dans les yeux ?
Non ! Cela ne sera pas ! Je ne laisserai pas mourir mon amour. Je mourrai moi, plutôt !
Je me tuerai de bon coeur pour qu'il vive éternellement. Je rendrai le script de ma vie à la postérité, car c'est ainsi que je veux que l'on me retienne, amoureuse et dévouée.
Il m'arrive souvent d'y penser, et de prendre la résolution d'entériner mon amour pour toi d'un suicide exalté. Je voudrais tant lui offrir cette patente d'éternité, je souhaiterais si fort que la cire encore chaude et informe d'un avenir que je hais déjà puisse se voir écrasée, matée par le sceau définitif qui cachettera enfin la valeur officielle à jamais de mon statut d'amoureuse.
Mais, hélas, j'ai toujours été faible, et ai toujours pris la fuite au moment de faire l'ultime geste.
Je me revois, hésitante, caressant mon cou nu de la froideur d'une lame. Je n'ai jamais osé, encore, l'enfoncer dans mes chairs, et couper ce fil de vie que l'on tire malgré moi vers des cieux inconnus.
Peut-être est-ce la peur de la morsure du fer ?
Il me semble que non pourtant.
Car cet acte devrait être une fête ! Je devrais me ramasser, me compresser en un acte unique, ultime, définitif. Je ne serais alors plus que cette volonté de mort qui se projette en toi. Quel ravissement sera-ce, lorsque, sur le fil du rasoir, perchée sur cet instant indicible durant lequel je serai vivante et morte, cette frontière impalpable qui séparera ma mort de ma vie, je pourrai enfin être en osmose avec toi.
Et la douleur, qu'importe ! Elle sera un plaisir, un délice raffiné, une ivresse érotique, l'expression écorchée de l'amour qui me ronge !
Oh, mon amour, je te promets qu'un jour je serai forte, suffisamment pour m'anéantir, m'annihiler, m'abolir, enfin, pour que vive mon amour, autonome, autarcique.
Je mourrai, je le jure, dans l'accouchement provoqué de ce chef d'œuvre à maturité, qui volera désormais de ses ailes infinies dans le ciel éternel !
La jeune fille s'arrêtait ainsi, et le rêve avec elle.
Constant s'était réveillé à l'aube. Il avait pris la route ensuite, rapidement.
Il ne connaissait toujours pas le nom de la jeune fille.
Il se reposa quelques instants, juste ce qu'il fallait, et se remit en route.
Il arriverait à Rodez, bientôt.
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Constant et le voyage
[Hummmm... Quelque part entre Alger et Stockholm, à vue de nez]
Ce qui est amusant dans l'histoire qui va suivre, c'est que tout avait bien commencé. Enfin, à condition de décaler le commencement à la journée précédente, ce qui peut, et probablement à juste titre même, paraître symptomatique d'une certaine paresse analytique peu avouable, voire même d'un désœuvrement cosmologique radicalement condamnable (sans aller toutefois, comme se le permettent certains, jusqu'à évoquer l'idée hardie de "tendance maniaco-dépressive au déni nihilo-originel, ce qui paraît tout de même un peu fort), mais qui, en l'occurrence, nous arrange.
Tout avait bien commencé, donc (voir plus haut).
Constant était arrivé à Rodez, le jour d'avant, comme prévu. Il avait même pu se balader dans la ville et, comble du luxe, apogée extatique de la volupté, sommet transcendantal de la béatitude, il avait réussit à ne pas prêter attention une seule fois au fait qu'il se trouvait dans le diocèse placé sous la responsabilité d'Odoacre de Corinthe.
Il avait bien dormi, même. Sans rêves. Il s'était levé de bon matin, guilleret, et avait repris la route avec un entrain juvénile.
Et paf ! Comme par hasard, c'était aujourd'hui qu'il s'était perdu.
Il faut dire que c'était trop beau.
Par chance, Constant n'eut pas trop le temps de se rendre compte de la mocheté de l'existence humaine, ni même la lucidité de regarder en face la cruauté sans borne de la vie sur terre, laquelle venait de le frapper lâchement en plein vol.
Il était bien paumé, là...
Il put d'ailleurs constater, avec un début d'amusement contrasté par les prérogatives impérieuses d'un instinct de survie aux aguets, que la tendance qu'on les paysages à se ressembler entre eux avait une assez fâcheuse tendance à croître de manière quasi-exponentielle en fonction de l'intensité du sentiment d'égarement éprouvé par le sujet référant.
Parce que bon, il avait déjà passé la nuit dehors, en rase campagne. Il pouvait donc le refaire. Cela faisait partie des choses dont on sort généralement vivant. Généralement...
Autant éviter, donc, ce genre de risques inutiles.
Après tout, il avait bien toujours obstinément refusé d'apprendre à se battre, ce qui n'a rien à voir, mais quand même.
Bref, l'essentiel était, pour le moment, de continuer tout droit.
C'est comme ça que Constant faisait toujours quand il était perdu.
Parce que contrairement, à ce que disaient ces ignares de Grecs, et Aristote le premier, le cercle, pour le promeneur, c'est quand même une vraie saloperie !
Tout droit, tout droit, tout droit ! Là était son salut.
Il marcha donc. Longtemps. Il finit d'ailleurs, et ce non sans une pointe d'amertume, par constater que son espoir d'arriver à bon port allait s'amenuisant. Il faut dire que l'heure avançait.
Mais bon, c'était quand même très contrariant tout ça !
D'habitude il avait quelqu'un qui venait le chercher !
La dernière fois il n'avait eu qu'à s'allonger dans un coin, à l'ombre bien sûr, pleurer un peu (pour le côté tragique de la mise en scène) et surtout adresser une flopée de prières à Sainte Wiatt, patronne en devenir des guides de campagne.
Mais là ça semblait mal barré, et il n'était pas assez fou pour tenter le coup.
D'autant plus qu'il avait depuis peu une réputation de héros à tenir auprès de la dame...
Suffit. Il marchait donc, vaillant, cheveux au vent et l'âme en rut, comme un aventurier intrépide, explorateur du désert sur une route balisé.
Il voulu siffloter, pour se donner l'air serein du badaud débonnaire, mais rien ne lui vint d'adapté. Une vieille comptine d'enfance, simplement.
Ça n'allait pas du tout ! Même que, s'il en avait eu le toupet, il aurait composé sur le champ le thème d'Indiana Jones, pour souligner dignement ses pérégrinations démentielles et héroïques de baroudeur indomptable dans la jungle hostile et sauvage des sentiers rouergats.
Pas de bol, il rencontra quelqu'un. John Williams pouvait enfin souffler.
Le quelqu'un en question était déposé sur une petite cariole. Il avait furieusement l'air d'un marchand (oui, parce qu'on peut avoir furieusement l'air d'un marchand, même si c'est pas facile).
Il prenait la route en sens inverse.
Constant se mit en travers du chemin, en tâchant de prendre un air avenant.
Ce que ne fit pas le bonhomme (pour l'air avenant, s'entend).
Bien malgré lui d'ailleurs, car il semblait cordial. Mais comment dire...
Il s'agissait d'une sorte de mélange de Lorgol et de la mère Pouyss...
Mais Constant, n'écoutant que son courage, surmonta son appréhension avec dignité.
Il apostropha une première fois :
Bonjour mon bon !
Réplique d'une intensité mélodramatique dont l'homme en question ne put visiblement pas se faire une idée précise. En effet, il semblait être un peu dur de la feuille, et Constant dut attendre qu'il soit arrêté et à portée d'oreille.
Il apostropha derechef :
Bonjour, mon bon !
Oui, Constant avait opté pour la répétition fidèle.
L'homme répondit avec un air farouche :
Bonjour, sieur, que puis je faire pour vous ?
Vous n'êtes pas un brigand j'espère !
Bon, première contrainte : l'homme parlait occitan*
Constant détestait l'occitan. C'était ringard**
Il fallait répondre toutefois, en priant pour que l'homme comprenne les langages civilisés :
Un brigand ? Sac à papier,ô que non !
Je me rapproche nettement plus du type "voyageur égaré", vous savez, le genre de ceux qui partent un beau matin avec l'insouciance candide des enfants encore bercés par la naïveté bucolique des prairies verdoyantes d'une enfance...
Heu.... Visiblement Constant s'égarait.
Heureusement pour lui, le visage écarlate de Bertomieu, le cerbère fou qui avait failli l'embrocher lorsqu'il s'était adonné à la logorrhées comme à présent devant les grilles du château de Calvisson, lui apparut en flash.
Mieux valait se calmer, donc, car cette fois ci, sa nièce ne viendrait pas lui sauver la vie en faisant montrer patte blanche au molosse enragé.
Encore une sur qui on ne pouvait pas compter, d'ailleurs ! Toutes les mêmes, tiens.
Bref, il changea de stratégie marketing, et passa à une communication plus dépouillée :
Heuuu... oui, bon. Je me nomme Constant Corteis, et je suis égaré, tout simplement.
Je devais me rendre à Villefranche de Rouergue, vous pouvez m'indiquer le chemin ?
Là dessus le marchand éclata de rire.
Ben vous allez pas dans le bon sens, l'ami !
Villefranche c'est par là !
L'homme montrait le chemin que Constant venait de prendre, à l'envers visiblement...
La situation était d'ailleurs un brin humiliante...
Mais il se fait tard dites donc ! Vous devriez monter si vous voulez être arrivé avant la nuit !
J'y vais, moi, à Villefranche, je vous fais une petite place ?
Il y a des moments où l'homme doit savoir mépriser douloureusement son orgueil. Constant accepta donc, et grimpa à côté de l'homme qui riait encore bruyamment de ce qu'il venait d'entendre.
- Merci à vous, vous êtes bien aimable...
- Pensez vous ! Vous ne me gênez pas ! C'est pas bien marrant de faire la route tout seul, au moins j'aurai un peu de compagnie à présent ! Je préfère ça vous savez, on finirait dingue sinon...
Oui... Visiblement l'homme préférait la compagnie... Et le faisait savoir avec un entrain explicite...
Il ne semblait d'ailleurs pas s'apercevoir que Julien ne pigeait quasiment pas un broc de ce qu'il entendait. Parce que bon, comprendre l'occitan, ça allait. Mais s'efforcer de comprendre l'occitan alors qu'il savait pertinemment qu'il n'aurait strictement rien à secouer de ce qu'il allait entendre... C'était bien autre chose.
Et puis, je vais vous dire mon bon monsieur... comment c'est votre nom déjà ? V'la que j'ai oublié, bref, je préfère vous avoir avec moi, vous m'avez l'air jeune et robuste, ça pourra faire douter les malandrins. C'est qu'y en a de plus en plus de ces saloperies là vous savez ! Bientôt on pourra plus faire le moindre trajet sans escorte. Remarquez, moi je m'en ficherait bien, tiens ! J'compte pas faire ça encore ben longtemps ! La route, la route ! Ça vous fiche en l'air un bonhomme que j'vous dis !
L'homme était lancé sur pilotage verbal automatique. Et il y resta un bon moment.
Constant n'écoutait strictement rien, il se contentait d'acquiescer vaguement de temps en temps en regardant le paysage.
Tout allait bien d'ailleurs. Il avait grandit entouré de femmes, il savait ce que ça voulait dire que de se taire et de faire semblant d'écouter quelqu'un parler. Mais, à un moment, il se trouva que l'homme devint silencieux.
Constant se tourna alors vers lui pour vérifier que tout allait bien, et déduit de l'air curieux avec lequel ce dernier le dévisageait que le bon marchand attendait probablement une réaction...
Moment épineux... Mais Constant était rôdé.
Il prit son air le plus puissamment inspiré, avec frottement de menton et plissement de sourcil :
Hmmmm... Et l'ontologie dans tout ça ?
Le coup avait fait mouche, l'homme était déstabilisé.
Vite, il fallait conclure l'assaut.
Non mais parce que bon, on rigole on rigole, très bien, mais à un moment donné il faut quand même que quelqu'un s'occupe du problème de l'incommensurabilité structurelle de l'analyse systémique du méta-contexte ! Je veux bien qu'on ergote, qu'on glose, qu'on argumente, qu'on soliloque à tout va sur l'herméneutique formelle des valeurs axiomatico-déductives, bien qu'à tout prendre, l'étiologie comparée des conditions inhérentes aux devenirs métaphysiques des entéléchies premières me semble être un leurre, mais il ne me semble pas envisageable une seule minute que l'on puisse passer à côté des véritables problèmes fondamentaux que pose l'exégèse minutieuse des conditions réelles de la métensomatose chez les auteurs anciens sans une once de lucidité intellectuelle !
Non mais ! Quand même !
J'ai pas raison ?
Constant 1 - 0 Le marchand.
Fin du match, emballez c'est pesé, la farce est dans le dindon et les carottes sont cuites.
Le pauvre homme ne put qu'acquiescer silencieusement.
A présent Constant était peinard. Il allait même pouvoir se piquer un petit roupillon en attendant Villefranche.
Comme quoi, la vie n'est pas si nulle !
______________
* Oui, parce qu'en fait, vous allez rire, mais il se trouve que j'avais pas du tout envie de me concasser les pois chiches, comme on dit (si si), à traduire réellement. J'utilise donc cet artifice honteux, et me liquéfie de contrition envers les puristes que cela dérangera. Cela pourra d'ailleurs faire office de début de piste d'explication concernant le côté un brin formel, assez austère, impersonnel, administratif et pour tout dire à mon sens beaucoup trop prosaïque, de la forme du discours de l'intervenant que la vacuité scénaristique de ce post m'oblige à considérer comme le deuxième personnage principal.
** Oui, là en fait je fais ça à dessein, de manière à inverser la tendance offensante de la première attaque implicite envers les puristes des langues d'Oc par une seconde, non moins cinglante, et encore plus gratuite, qui devrait permettre, si mes calculs sont justes (ce qui m'étonnerait quand même un peu) d'annuler la précédente en vertu des lois inoxydables de l'algèbre. C'est contestable comme tentative, j'en suis conscient, mais c'est la seule solution. J'ai pensé un moment introduire une référence au quotient intellectuel du pape Eugène V, de manière à bénéficier des vertus absorbantes du zéro en arithmétique pour faire table rase de mon impudence passée. Mais bon, étant donné que, ne l'oublions pas (0 + 0) ça fait la tête à toto, et que j'avais absolument pas le temps d'intégrer un troisième personnage à l'histoire, j'ai choisi la méthode simple. Merci de votre compréhension.
Ce qui est amusant dans l'histoire qui va suivre, c'est que tout avait bien commencé. Enfin, à condition de décaler le commencement à la journée précédente, ce qui peut, et probablement à juste titre même, paraître symptomatique d'une certaine paresse analytique peu avouable, voire même d'un désœuvrement cosmologique radicalement condamnable (sans aller toutefois, comme se le permettent certains, jusqu'à évoquer l'idée hardie de "tendance maniaco-dépressive au déni nihilo-originel, ce qui paraît tout de même un peu fort), mais qui, en l'occurrence, nous arrange.
Tout avait bien commencé, donc (voir plus haut).
Constant était arrivé à Rodez, le jour d'avant, comme prévu. Il avait même pu se balader dans la ville et, comble du luxe, apogée extatique de la volupté, sommet transcendantal de la béatitude, il avait réussit à ne pas prêter attention une seule fois au fait qu'il se trouvait dans le diocèse placé sous la responsabilité d'Odoacre de Corinthe.
Il avait bien dormi, même. Sans rêves. Il s'était levé de bon matin, guilleret, et avait repris la route avec un entrain juvénile.
Et paf ! Comme par hasard, c'était aujourd'hui qu'il s'était perdu.
Il faut dire que c'était trop beau.
Par chance, Constant n'eut pas trop le temps de se rendre compte de la mocheté de l'existence humaine, ni même la lucidité de regarder en face la cruauté sans borne de la vie sur terre, laquelle venait de le frapper lâchement en plein vol.
Il était bien paumé, là...
Il put d'ailleurs constater, avec un début d'amusement contrasté par les prérogatives impérieuses d'un instinct de survie aux aguets, que la tendance qu'on les paysages à se ressembler entre eux avait une assez fâcheuse tendance à croître de manière quasi-exponentielle en fonction de l'intensité du sentiment d'égarement éprouvé par le sujet référant.
Parce que bon, il avait déjà passé la nuit dehors, en rase campagne. Il pouvait donc le refaire. Cela faisait partie des choses dont on sort généralement vivant. Généralement...
Autant éviter, donc, ce genre de risques inutiles.
Après tout, il avait bien toujours obstinément refusé d'apprendre à se battre, ce qui n'a rien à voir, mais quand même.
Bref, l'essentiel était, pour le moment, de continuer tout droit.
C'est comme ça que Constant faisait toujours quand il était perdu.
Parce que contrairement, à ce que disaient ces ignares de Grecs, et Aristote le premier, le cercle, pour le promeneur, c'est quand même une vraie saloperie !
Tout droit, tout droit, tout droit ! Là était son salut.
Il marcha donc. Longtemps. Il finit d'ailleurs, et ce non sans une pointe d'amertume, par constater que son espoir d'arriver à bon port allait s'amenuisant. Il faut dire que l'heure avançait.
Mais bon, c'était quand même très contrariant tout ça !
D'habitude il avait quelqu'un qui venait le chercher !
La dernière fois il n'avait eu qu'à s'allonger dans un coin, à l'ombre bien sûr, pleurer un peu (pour le côté tragique de la mise en scène) et surtout adresser une flopée de prières à Sainte Wiatt, patronne en devenir des guides de campagne.
Mais là ça semblait mal barré, et il n'était pas assez fou pour tenter le coup.
D'autant plus qu'il avait depuis peu une réputation de héros à tenir auprès de la dame...
Suffit. Il marchait donc, vaillant, cheveux au vent et l'âme en rut, comme un aventurier intrépide, explorateur du désert sur une route balisé.
Il voulu siffloter, pour se donner l'air serein du badaud débonnaire, mais rien ne lui vint d'adapté. Une vieille comptine d'enfance, simplement.
Ça n'allait pas du tout ! Même que, s'il en avait eu le toupet, il aurait composé sur le champ le thème d'Indiana Jones, pour souligner dignement ses pérégrinations démentielles et héroïques de baroudeur indomptable dans la jungle hostile et sauvage des sentiers rouergats.
Pas de bol, il rencontra quelqu'un. John Williams pouvait enfin souffler.
Le quelqu'un en question était déposé sur une petite cariole. Il avait furieusement l'air d'un marchand (oui, parce qu'on peut avoir furieusement l'air d'un marchand, même si c'est pas facile).
Il prenait la route en sens inverse.
Constant se mit en travers du chemin, en tâchant de prendre un air avenant.
Ce que ne fit pas le bonhomme (pour l'air avenant, s'entend).
Bien malgré lui d'ailleurs, car il semblait cordial. Mais comment dire...
Il s'agissait d'une sorte de mélange de Lorgol et de la mère Pouyss...
Mais Constant, n'écoutant que son courage, surmonta son appréhension avec dignité.
Il apostropha une première fois :
Bonjour mon bon !
Réplique d'une intensité mélodramatique dont l'homme en question ne put visiblement pas se faire une idée précise. En effet, il semblait être un peu dur de la feuille, et Constant dut attendre qu'il soit arrêté et à portée d'oreille.
Il apostropha derechef :
Bonjour, mon bon !
Oui, Constant avait opté pour la répétition fidèle.
L'homme répondit avec un air farouche :
Bonjour, sieur, que puis je faire pour vous ?
Vous n'êtes pas un brigand j'espère !
Bon, première contrainte : l'homme parlait occitan*
Constant détestait l'occitan. C'était ringard**
Il fallait répondre toutefois, en priant pour que l'homme comprenne les langages civilisés :
Un brigand ? Sac à papier,ô que non !
Je me rapproche nettement plus du type "voyageur égaré", vous savez, le genre de ceux qui partent un beau matin avec l'insouciance candide des enfants encore bercés par la naïveté bucolique des prairies verdoyantes d'une enfance...
Heu.... Visiblement Constant s'égarait.
Heureusement pour lui, le visage écarlate de Bertomieu, le cerbère fou qui avait failli l'embrocher lorsqu'il s'était adonné à la logorrhées comme à présent devant les grilles du château de Calvisson, lui apparut en flash.
Mieux valait se calmer, donc, car cette fois ci, sa nièce ne viendrait pas lui sauver la vie en faisant montrer patte blanche au molosse enragé.
Encore une sur qui on ne pouvait pas compter, d'ailleurs ! Toutes les mêmes, tiens.
Bref, il changea de stratégie marketing, et passa à une communication plus dépouillée :
Heuuu... oui, bon. Je me nomme Constant Corteis, et je suis égaré, tout simplement.
Je devais me rendre à Villefranche de Rouergue, vous pouvez m'indiquer le chemin ?
Là dessus le marchand éclata de rire.
Ben vous allez pas dans le bon sens, l'ami !
Villefranche c'est par là !
L'homme montrait le chemin que Constant venait de prendre, à l'envers visiblement...
La situation était d'ailleurs un brin humiliante...
Mais il se fait tard dites donc ! Vous devriez monter si vous voulez être arrivé avant la nuit !
J'y vais, moi, à Villefranche, je vous fais une petite place ?
Il y a des moments où l'homme doit savoir mépriser douloureusement son orgueil. Constant accepta donc, et grimpa à côté de l'homme qui riait encore bruyamment de ce qu'il venait d'entendre.
- Merci à vous, vous êtes bien aimable...
- Pensez vous ! Vous ne me gênez pas ! C'est pas bien marrant de faire la route tout seul, au moins j'aurai un peu de compagnie à présent ! Je préfère ça vous savez, on finirait dingue sinon...
Oui... Visiblement l'homme préférait la compagnie... Et le faisait savoir avec un entrain explicite...
Il ne semblait d'ailleurs pas s'apercevoir que Julien ne pigeait quasiment pas un broc de ce qu'il entendait. Parce que bon, comprendre l'occitan, ça allait. Mais s'efforcer de comprendre l'occitan alors qu'il savait pertinemment qu'il n'aurait strictement rien à secouer de ce qu'il allait entendre... C'était bien autre chose.
Et puis, je vais vous dire mon bon monsieur... comment c'est votre nom déjà ? V'la que j'ai oublié, bref, je préfère vous avoir avec moi, vous m'avez l'air jeune et robuste, ça pourra faire douter les malandrins. C'est qu'y en a de plus en plus de ces saloperies là vous savez ! Bientôt on pourra plus faire le moindre trajet sans escorte. Remarquez, moi je m'en ficherait bien, tiens ! J'compte pas faire ça encore ben longtemps ! La route, la route ! Ça vous fiche en l'air un bonhomme que j'vous dis !
L'homme était lancé sur pilotage verbal automatique. Et il y resta un bon moment.
Constant n'écoutait strictement rien, il se contentait d'acquiescer vaguement de temps en temps en regardant le paysage.
Tout allait bien d'ailleurs. Il avait grandit entouré de femmes, il savait ce que ça voulait dire que de se taire et de faire semblant d'écouter quelqu'un parler. Mais, à un moment, il se trouva que l'homme devint silencieux.
Constant se tourna alors vers lui pour vérifier que tout allait bien, et déduit de l'air curieux avec lequel ce dernier le dévisageait que le bon marchand attendait probablement une réaction...
Moment épineux... Mais Constant était rôdé.
Il prit son air le plus puissamment inspiré, avec frottement de menton et plissement de sourcil :
Hmmmm... Et l'ontologie dans tout ça ?
Le coup avait fait mouche, l'homme était déstabilisé.
Vite, il fallait conclure l'assaut.
Non mais parce que bon, on rigole on rigole, très bien, mais à un moment donné il faut quand même que quelqu'un s'occupe du problème de l'incommensurabilité structurelle de l'analyse systémique du méta-contexte ! Je veux bien qu'on ergote, qu'on glose, qu'on argumente, qu'on soliloque à tout va sur l'herméneutique formelle des valeurs axiomatico-déductives, bien qu'à tout prendre, l'étiologie comparée des conditions inhérentes aux devenirs métaphysiques des entéléchies premières me semble être un leurre, mais il ne me semble pas envisageable une seule minute que l'on puisse passer à côté des véritables problèmes fondamentaux que pose l'exégèse minutieuse des conditions réelles de la métensomatose chez les auteurs anciens sans une once de lucidité intellectuelle !
Non mais ! Quand même !
J'ai pas raison ?
Constant 1 - 0 Le marchand.
Fin du match, emballez c'est pesé, la farce est dans le dindon et les carottes sont cuites.
Le pauvre homme ne put qu'acquiescer silencieusement.
A présent Constant était peinard. Il allait même pouvoir se piquer un petit roupillon en attendant Villefranche.
Comme quoi, la vie n'est pas si nulle !
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* Oui, parce qu'en fait, vous allez rire, mais il se trouve que j'avais pas du tout envie de me concasser les pois chiches, comme on dit (si si), à traduire réellement. J'utilise donc cet artifice honteux, et me liquéfie de contrition envers les puristes que cela dérangera. Cela pourra d'ailleurs faire office de début de piste d'explication concernant le côté un brin formel, assez austère, impersonnel, administratif et pour tout dire à mon sens beaucoup trop prosaïque, de la forme du discours de l'intervenant que la vacuité scénaristique de ce post m'oblige à considérer comme le deuxième personnage principal.
** Oui, là en fait je fais ça à dessein, de manière à inverser la tendance offensante de la première attaque implicite envers les puristes des langues d'Oc par une seconde, non moins cinglante, et encore plus gratuite, qui devrait permettre, si mes calculs sont justes (ce qui m'étonnerait quand même un peu) d'annuler la précédente en vertu des lois inoxydables de l'algèbre. C'est contestable comme tentative, j'en suis conscient, mais c'est la seule solution. J'ai pensé un moment introduire une référence au quotient intellectuel du pape Eugène V, de manière à bénéficier des vertus absorbantes du zéro en arithmétique pour faire table rase de mon impudence passée. Mais bon, étant donné que, ne l'oublions pas (0 + 0) ça fait la tête à toto, et que j'avais absolument pas le temps d'intégrer un troisième personnage à l'histoire, j'ai choisi la méthode simple. Merci de votre compréhension.
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Constant et le voyage
[ Villefranche ]
Ce qu'il y a d'embêtant avec la sieste, c'est que ça empêche de dormir.
Et pour le coup, Constant n'avais pas été économe, et avait dépensé une bonne partie de son sommeil en somnolant à l'arrachée sur la carriole du marchand bienfaiteur.
L'homme avait d'ailleurs dû le réveiller en arrivant à Villefranche, pour lui proposer de descendre dans une sorte de faux élan de politesse.
Pour tout dire, Constant avait cru déceler une sorte de crainte chez le brave commerçant. Il faut dire que ça fait toujours un peu peur, la première fois, l'ontologie.
Bon, fendons nous d'un petit tableau récapitulatif :
Top chrono.
Il était désormais assez tard, et le jour était déjà presque couché.
Pas de temps à perdre, donc. Il s'enfonça à la hâte dans la bourgade.
Il lui vint un moment l'idée d'aller demander asile à l'église, mais il se rappela qu'il n'était toujours pas à l'abri, et se souvint même avec effroi que l'horrible τυφωγερον habitait ici.
Bigre, il fallait être discret. Une seule solution, dégotter la taverne la plus mal famée possible, là où le vieux grec ne traînerait pas.
Constant trouva bien vite son bonheur, et se jeta à corps perdu dans le premier rade qui se présenta à lui.
C'est donc à partir de ce moment là qu'il put constater que les gens ne déconnaient pas avec le côté pouilleux, dans le coin.
Il en avait pourtant fréquenté un bon nombre, durant ses années d'exil, des auberges de campagne où la dégénérescence congénitale semblait être devenue sport national. Mais là...
Non là vraiment c'était trop. Il prit sur lui de se comporter en bourgeois, mais, franchement, les pauvres bougres qui gisaient là avaient vraiment trop la beauf touch pour lui.
Il traversa donc la pièce en hâte, et se posa devant le comptoir, en quémandant une chambre pour la nuit au tenancier.
Il avait encore un peu d'argent sur lui, suffisamment pour payer la nuit, et même un repas pour le soir.
Tout allait bien donc.
Le pauvre tavernier n'avait pas l'air d'être particulièrement efficient dans le domaine intellectuel...
Nous n'irons pas jusqu'à dire qu'il était un plaidoyer vivant en faveur de la prohibition de l'inceste, parce que ça ne serait pas très correct, mais nous le pensons très fort. Et Constant aussi, d'ailleurs, et tous les fantasmes qu'il aurait pu avoir concernant sa sœur, qui était, paraît-il, la plus jolie femme du Royaume, disparurent définitivement.
Il allait saisir la miche de pain que lui tendait l'infirme du bulbe, quand celui ci lui intima l'ordre de payer d'abord, le tout assorti de moult jurons, cris, et projectiles salivaires, avec ou sans garnitures du repas du soir, qui se répandaient en trajectoires aléatoires, comme si même les lois de la balistique étaient bafouées ici.
Constant, ayant fait le constat que le con s'tend, et s'étant prodigieusement efforcé de ne pas compromettre sa salubrité physique au contact des horribles postillons, calma le courroux de son interlocuteur au moyen de quelques piécettes, en échange desquelles il put se sustenter.
Il pensa un moment qu'il avait gagné, et qu'il pourrait enfin être tranquille.
C'était sans compter sur l'intervention de son voisin de comptoir.
Il s'agissait d'un homme assez âgé, avec une longue barbe grise.
Il était hirsute, et avait l'air un peu allumé. Ce qui se confirma d'ailleurs...
Oui, à coup sûr, le pauvre bougre n'était pas tout seul ! Et il semblait s'être pris de sympathie pour Constant, qui ne put faire autrement que se poser dramatiquement la question de savoir pourquoi il avait cette insupportable tendance à mettre les débiles en confiance...
Il ne pouvait pas partir, en plus, il devait finir son repas.
Il se dépêcha, donc, en tâchant de paraître courtois envers le vieux fou qui lui déblatérait un océan d'inepties.
A un moment, Constant eu une sorte de révélation, il interrompit sa mastication, et se tourna pour dévisager son camarade de comptoir.
Non... Hélas non.
Ce n'était pas Odoacre de Corinthe. Il y avait quelque chose pourtant, un faux air, mais non.
Et pourtant ! Constant n'attendait que ça, que le vieil évêque de Rodez surchauffe définitivement du citron, pour pouvoir se gausser du spectacle de sa déchéance. Il avait récemment cru son heure arrivée, et avait même pu goûter, hélas à tort, aux délices sucrées de cet instant magique auquel sa vie entière avait semblé n'être qu'un vaste prélude.
C'était à Rome, lorsque le théologue recrutait des rameurs. Hélas, mille fois hélas, le bougre avait encore sa tête, et Constant avait fini la tête dans le Tibre.
Bref, tout ceci est bien beau, mais n'a pas eu le mérite d'arrêter le vieux du comptoir, qui lui, comme par hasard, avait vraiment tourné la carte.
La vie est ainsi, parfois, provocatrice et espiègle.
A présent, après s'être longtemps étendu sur l'amitié intense qu'il partageait avec le pinson chanteur des montagnes, et avoir longtemps débattu avec lui même du caractère hautement problématique que ne manquait jamais de revêtir l'acte de donner un prénom à un peuplier sauvage ("en fonction de ses feuilles, pardi !" (sic) ), le brave agité de la touffe, qu'il avait broussailleuse au passage, versait dans la gérontophilie.
Il vantait les mérites de son grand-père, plus précisément.
C'té un roc, le pépé, que j'vous dit !
Par bonheur, Constant avait fini, il pouvait donc aller se coucher, même s'il n'avait pas sommeil. Mais là c'était vraiment plus possible.
Il se leva, et se prépara à saluer le vieillard sénile qui, pendant ce temps là, tenait toujours le crachoir :
Un roc, que j'vous dis, le pépé ! Un dur à cuire, ça oui !
Et à la guerre mon bon m'sieur, un balèze !
Il était une ville à lui tout seul ! Un royaume entier d'ailleurs, ouais !
A ce moment là, Constant s'arrêta quelques instants, et se tint silencieux.
A peine quelques secondes. Il regardait son "interlocuteur".
Il prit la parole ensuite, en prenant l'air le plus obséquieux possible :
Je veux bien vous croire, cher ami.
Une ville, un royaume... Ne soyons pas pusillanimes, n'ayons pas peur des mots et allons jusqu'au bout !
Votre grand-père devait même être un continent !
Il quitta le vieil homme dans la foulée, après l'avoir salué d'un sourire, que l'homme dévora de ses yeux pétillants, visiblement très en phase avec l'affirmation qu'il venait d'entendre.
Constant, quant à lui, partit se coucher, en souriant quelque peu de sa bêtise. Assez fier de lui, pour le coup.
Ce qu'il y a d'embêtant avec la sieste, c'est que ça empêche de dormir.
Et pour le coup, Constant n'avais pas été économe, et avait dépensé une bonne partie de son sommeil en somnolant à l'arrachée sur la carriole du marchand bienfaiteur.
L'homme avait d'ailleurs dû le réveiller en arrivant à Villefranche, pour lui proposer de descendre dans une sorte de faux élan de politesse.
Pour tout dire, Constant avait cru déceler une sorte de crainte chez le brave commerçant. Il faut dire que ça fait toujours un peu peur, la première fois, l'ontologie.
Bon, fendons nous d'un petit tableau récapitulatif :
Nom : Corteis
Prénom : Constant
Profession : Ontologue
Age : 25 ans
Nombre de frères et soeurs : 1/2 sœur
Profession des parents : L'oppression morale sous toutes formes
Lieu de résidence : Variable
Tendance politique : Anarchisme j'menfoutiste
Religion : Ontologie
Professions exercées : précepteur, professeur d'écriture, procureur éphémère, bailli, régent d'un jour.
Situation conjugale : Marié sans être en couple (si si c'est possible, mais un brin compliqué)
Fromage ou dessert : Plutôt dessert
Signe particulier : A une fâcheuse tendance à être considéré comme relaps par l'Église Aristotélicienne
Localisation : Villefranche de Rouergue
Mission : Trouver un lieu pour dormir
Top chrono.
Il était désormais assez tard, et le jour était déjà presque couché.
Pas de temps à perdre, donc. Il s'enfonça à la hâte dans la bourgade.
Il lui vint un moment l'idée d'aller demander asile à l'église, mais il se rappela qu'il n'était toujours pas à l'abri, et se souvint même avec effroi que l'horrible τυφωγερον habitait ici.
Bigre, il fallait être discret. Une seule solution, dégotter la taverne la plus mal famée possible, là où le vieux grec ne traînerait pas.
Constant trouva bien vite son bonheur, et se jeta à corps perdu dans le premier rade qui se présenta à lui.
C'est donc à partir de ce moment là qu'il put constater que les gens ne déconnaient pas avec le côté pouilleux, dans le coin.
Il en avait pourtant fréquenté un bon nombre, durant ses années d'exil, des auberges de campagne où la dégénérescence congénitale semblait être devenue sport national. Mais là...
Non là vraiment c'était trop. Il prit sur lui de se comporter en bourgeois, mais, franchement, les pauvres bougres qui gisaient là avaient vraiment trop la beauf touch pour lui.
Il traversa donc la pièce en hâte, et se posa devant le comptoir, en quémandant une chambre pour la nuit au tenancier.
Il avait encore un peu d'argent sur lui, suffisamment pour payer la nuit, et même un repas pour le soir.
Tout allait bien donc.
Le pauvre tavernier n'avait pas l'air d'être particulièrement efficient dans le domaine intellectuel...
Nous n'irons pas jusqu'à dire qu'il était un plaidoyer vivant en faveur de la prohibition de l'inceste, parce que ça ne serait pas très correct, mais nous le pensons très fort. Et Constant aussi, d'ailleurs, et tous les fantasmes qu'il aurait pu avoir concernant sa sœur, qui était, paraît-il, la plus jolie femme du Royaume, disparurent définitivement.
Il allait saisir la miche de pain que lui tendait l'infirme du bulbe, quand celui ci lui intima l'ordre de payer d'abord, le tout assorti de moult jurons, cris, et projectiles salivaires, avec ou sans garnitures du repas du soir, qui se répandaient en trajectoires aléatoires, comme si même les lois de la balistique étaient bafouées ici.
Constant, ayant fait le constat que le con s'tend, et s'étant prodigieusement efforcé de ne pas compromettre sa salubrité physique au contact des horribles postillons, calma le courroux de son interlocuteur au moyen de quelques piécettes, en échange desquelles il put se sustenter.
Il pensa un moment qu'il avait gagné, et qu'il pourrait enfin être tranquille.
C'était sans compter sur l'intervention de son voisin de comptoir.
Il s'agissait d'un homme assez âgé, avec une longue barbe grise.
Il était hirsute, et avait l'air un peu allumé. Ce qui se confirma d'ailleurs...
Oui, à coup sûr, le pauvre bougre n'était pas tout seul ! Et il semblait s'être pris de sympathie pour Constant, qui ne put faire autrement que se poser dramatiquement la question de savoir pourquoi il avait cette insupportable tendance à mettre les débiles en confiance...
Il ne pouvait pas partir, en plus, il devait finir son repas.
Il se dépêcha, donc, en tâchant de paraître courtois envers le vieux fou qui lui déblatérait un océan d'inepties.
A un moment, Constant eu une sorte de révélation, il interrompit sa mastication, et se tourna pour dévisager son camarade de comptoir.
Non... Hélas non.
Ce n'était pas Odoacre de Corinthe. Il y avait quelque chose pourtant, un faux air, mais non.
Et pourtant ! Constant n'attendait que ça, que le vieil évêque de Rodez surchauffe définitivement du citron, pour pouvoir se gausser du spectacle de sa déchéance. Il avait récemment cru son heure arrivée, et avait même pu goûter, hélas à tort, aux délices sucrées de cet instant magique auquel sa vie entière avait semblé n'être qu'un vaste prélude.
C'était à Rome, lorsque le théologue recrutait des rameurs. Hélas, mille fois hélas, le bougre avait encore sa tête, et Constant avait fini la tête dans le Tibre.
Bref, tout ceci est bien beau, mais n'a pas eu le mérite d'arrêter le vieux du comptoir, qui lui, comme par hasard, avait vraiment tourné la carte.
La vie est ainsi, parfois, provocatrice et espiègle.
A présent, après s'être longtemps étendu sur l'amitié intense qu'il partageait avec le pinson chanteur des montagnes, et avoir longtemps débattu avec lui même du caractère hautement problématique que ne manquait jamais de revêtir l'acte de donner un prénom à un peuplier sauvage ("en fonction de ses feuilles, pardi !" (sic) ), le brave agité de la touffe, qu'il avait broussailleuse au passage, versait dans la gérontophilie.
Il vantait les mérites de son grand-père, plus précisément.
C'té un roc, le pépé, que j'vous dit !
Par bonheur, Constant avait fini, il pouvait donc aller se coucher, même s'il n'avait pas sommeil. Mais là c'était vraiment plus possible.
Il se leva, et se prépara à saluer le vieillard sénile qui, pendant ce temps là, tenait toujours le crachoir :
Un roc, que j'vous dis, le pépé ! Un dur à cuire, ça oui !
Et à la guerre mon bon m'sieur, un balèze !
Il était une ville à lui tout seul ! Un royaume entier d'ailleurs, ouais !
A ce moment là, Constant s'arrêta quelques instants, et se tint silencieux.
A peine quelques secondes. Il regardait son "interlocuteur".
Il prit la parole ensuite, en prenant l'air le plus obséquieux possible :
Je veux bien vous croire, cher ami.
Une ville, un royaume... Ne soyons pas pusillanimes, n'ayons pas peur des mots et allons jusqu'au bout !
Votre grand-père devait même être un continent !
Il quitta le vieil homme dans la foulée, après l'avoir salué d'un sourire, que l'homme dévora de ses yeux pétillants, visiblement très en phase avec l'affirmation qu'il venait d'entendre.
Constant, quant à lui, partit se coucher, en souriant quelque peu de sa bêtise. Assez fier de lui, pour le coup.
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
Déconvenues syntaxiques.
Lieu : Indéfinissable, Taverne du Royaume
Personnage : Constant Corteis
Date : Début septembre 1456
Cadre : Nouveau forum, nouveau départ...
_______________________
[Castres (comme la Ville) , ou n'importe où d'ailleurs, parce que, comme vous le verrez probablement très vite dès lors que j'aurai fini d'écrire n'importe quoi pour évacuer ma frustration, le côté géographique de cette intervention n'est pas ce que l'on pourrait appeler un paramètre essentiel]
Ah ! Enfin le réveil, Constant commençait à trouver le temps long...*
C'était logique d'ailleurs, puisque bon, cet intervalle de temps séparait un passé dont il ne se souvenait plus vraiment d'un présent qu'il ne reconnaissait pas encore. Fâcheux.
La seule chose dont il était sûr, c'est que rien n'était plus comme avant.
Il avait même du mal à se reconnaître lui même, à tel point que, très vite, une certaine angoisse existentielle vint à sa rencontre et lui dit :
Bonjour ! **
Constant ne sut que répondre.
Je suis Muriel l'angoisse existentielle, je suis là pour me loger un petit peu dans ton esprit pour te pourrir la vie !
Ouais ! Cool, fais comme chez ouate !
Oulà ! Mais qu'est ce que c'était donc que ce dialecte de Zoulous ?
Constant avait parlé sans réfléchir, et n'avait rien compris à ses propres propos !
Visiblement il y avait une certaine erreur de casting. Constant regarda le décor... Non, pourtant, il ne s'était pas trompé de studio.
Il fallait absolument arranger ça, sinon il allait passer pour un débile à chaque conversation !
Il scruta légèrement les environs.***
Personne. Tant mieux !
Il se fixa devant un bout de bois (qui pour tout dire, ressemblait un peu à un manche à balai, pour ceux que ça intéresse), qui était planté dans le sol, juste devant lui et au milieu de nulle part.****
Yo le bâton, ça gaze ??
Rohlalala mais quelle horreur !!!
Il était vrai que parler à un bâton était une situation somme toute assez nouvelle pour Constant, mais il y a des limites.
Il n'avait fait que chuchoter, mais le jeune homme, honteux, observait les alentours d'un œil inquiet afin de s'assurer que personne n'avait pu l'entendre...
Puis, tout à coup, sans aucune raison, Constant eut violemment le hoquet ! *****
Hic lol !
Mais qu'est ce que c'était encore que cette nouvelle mode ??? "Hic lol" ... Mais ça veut rien dire !
Hic mdr !
Au secours !
Hic PTDR !
Ce fut à cet instant, après que Constant ait fini d'employer toute son énergie à survivre à ce hoquet au terme duquel il avait manqué de s'étouffer, que les manifestations insolentes de son diaphragme cessèrent, comme... ben... comme... oui, disons... comme le deus ex machina d'un auteur paresseux qui n'a pas trop envie de se casser la tronche.
Oui voilà, c'est tout à fait ça !
Bon, il fallait se reprendre !
L'odeur fétide du camouflet planait dans l'air avec une assistance de mauvais aloi. Mais Constant n'était pas du genre à se rendre...
Constant résolu de se concentrer sur le contexte.
Après tout, ce dialecte qui jaillissait de ses lèvres péchait surtout par incongruité. Il fallait donc se réinsérer dans le milieu !
Il se concentra sur le monde qui l'entourait, pris une bonne inspiration, et, l'espace d'un instant, se mit à penser très fort à une tarte aux figues (même si ça, c'était pas forcément super essentiel, mais bon..).
Il s'adressa au bout de bois :
Bonjour, noble baston !
Ah ! Voilà qui était plus présentable. Il avait moins l'air de sortir de nulle part à présent. Il continua son exercice.
Comment voust porcter voust aujourd'huist ?
Hummm, étrange...
Bienct j'esperct ! Moist pourct ma parct, je suicts d'humeurct déslicieucse !
Oulàlàlàlà mais ça n'allait pas du tout ! Qu'est ce que c'était que cette manie débile de rajouter des "s" et des "c" à toutes les sauces ! C'était parfaitement ridicule !
Il devait y avoir eu une erreur dans son insertion...
A présent, Constant était complètement paniqué. Désespéré, même. Il était encore plus ridicule que précédemment !
Il se mit à courir, jusqu'à ce qu'il arrive sur la berge d'une rivière. Il agrippa un seau qui traînait là, le remplit, et se le vida sur le crâne.******
Il resta un moment comme ceci, le seau vide planté sur la tête et les cheveux trempés. Il accrocha la hanse sous son menton, et pouvait à présent se coiffer du récipient sans l'aide des mains.
Il fixait le ciel. Bientôt, il ouvrit les lèvres...
O liquide salvateur ! Toi qui me sauve aujourd'hui de l'enfer de la honte, toi qui éteint de ton étreinte humide le feu corrosif d'un ridicule naissant !
Je te sens à présent qui ruisselle sur mon front comme les perles de lait d'un espoir retrouvé aux senteurs de lilas, comme la fumée d'encens qui drague en volute quand elle se presse sur les murs des persiennes d'orient, comme les raisins volés arrachés à la grappe de la vie que l'on presse aujourd'hui au pilon des soleils trop bien promis, comme le cygne éphémère dans la fraîcheur timide des mares d'automne aux paresseux nénuphars, comme la fleur qui se fane pour avoir peur de vivre, comme l'eau, comme l'oubli, comme l'enfance éternelle auréolée de candeur, catafalque d'un ange des profondeurs chthoniennes.
Ah !!! Voilà ! Ça ne voulait rien dire mais ça allait déjà nettement mieux.
Ce n'était pas suffisant toutefois... Et Constant le savait. Il réajusta le seau, et repris le fil de son propos.
Qui suis-je donc à présent dans ce marasme d'âme ? Dans cette tourbe d'existence aux étants éphémères ? Laquelle est-elle mienne, de ces identités diluées en ces purées d'idiomes ? Quel espace idéal me sépare donc de moi ?
Je l'entends encore trop, l'écho désœuvré de mes paroles solitaires ! Elles se fracassent sur les murs imaginaires en l'absence de compagnes, et rebondissent en avatar sucé !
Qu'est elle donc cette vacuité stérile, cette absence, cette imposture noématique, cette aridité d'être ? Ce vide...
Constant ne put pas finir sa phrase. Un mot lui restait en travers de la gorge.
Il persista :
Ce vide.... Ce vide... on.... Ce vide on...
On... Onto... Ce vide onto...
Et tout à coup vint la délivrance, et Constant hurla de toute sa voix, comme un hurlement de victoire ou un râle d'orgasme :
Ontologique !
Et voilà ! Tout allait mieux maintenant.
Constant était de retour, et s'était à présent réapproprié son identité sémantique.
Il allait à présent pouvoir reprendre le cours d'une vie intelligible, et n'allait pas s'en priver !
_____
* Oui bon là vous allez me dire que c'est débile parce qu'à partir du moment où j'introduis la notion de réveil, il est nécessaire qu'elle soit précédé d'un épisode de sommeil, à partir duquel on conclut nécessairement que, en prenant appui sur le côté suspensif du sommeil concernant la conscience, la référence à une impatience de la part du sujet est complètement grotesque.
Vous irez peut-être même jusqu'à dire que je suis un mauvais écrivain à peine honnête qui n'a pas envie de se biner le haricot pour chercher une histoire crédible. Et vous aurez raison ! Au temps pour moi !
** Vous remarquerez la finesse avec laquelle est délicatement souligné le côté trivial de la scène pour renforcer l'immersion du lecteur.
*** Par opposition avec ceux qui scrutent lourdement les environs, donc.
**** Et ne me dites pas que c'est pas possible !
***** Tout ceci ayant pour but de faire entrevoir au lecteur tout l'aspect poignant que peut revêtir le désarroi de l'homme confronté à l'absurde.
****** Oui, bon, je sais...
Personnage : Constant Corteis
Date : Début septembre 1456
Cadre : Nouveau forum, nouveau départ...
_______________________
[Castres (comme la Ville) , ou n'importe où d'ailleurs, parce que, comme vous le verrez probablement très vite dès lors que j'aurai fini d'écrire n'importe quoi pour évacuer ma frustration, le côté géographique de cette intervention n'est pas ce que l'on pourrait appeler un paramètre essentiel]
Ah ! Enfin le réveil, Constant commençait à trouver le temps long...*
C'était logique d'ailleurs, puisque bon, cet intervalle de temps séparait un passé dont il ne se souvenait plus vraiment d'un présent qu'il ne reconnaissait pas encore. Fâcheux.
La seule chose dont il était sûr, c'est que rien n'était plus comme avant.
Il avait même du mal à se reconnaître lui même, à tel point que, très vite, une certaine angoisse existentielle vint à sa rencontre et lui dit :
Bonjour ! **
Constant ne sut que répondre.
Je suis Muriel l'angoisse existentielle, je suis là pour me loger un petit peu dans ton esprit pour te pourrir la vie !
Ouais ! Cool, fais comme chez ouate !
Oulà ! Mais qu'est ce que c'était donc que ce dialecte de Zoulous ?
Constant avait parlé sans réfléchir, et n'avait rien compris à ses propres propos !
Visiblement il y avait une certaine erreur de casting. Constant regarda le décor... Non, pourtant, il ne s'était pas trompé de studio.
Il fallait absolument arranger ça, sinon il allait passer pour un débile à chaque conversation !
Il scruta légèrement les environs.***
Personne. Tant mieux !
Il se fixa devant un bout de bois (qui pour tout dire, ressemblait un peu à un manche à balai, pour ceux que ça intéresse), qui était planté dans le sol, juste devant lui et au milieu de nulle part.****
Yo le bâton, ça gaze ??
Rohlalala mais quelle horreur !!!
Il était vrai que parler à un bâton était une situation somme toute assez nouvelle pour Constant, mais il y a des limites.
Il n'avait fait que chuchoter, mais le jeune homme, honteux, observait les alentours d'un œil inquiet afin de s'assurer que personne n'avait pu l'entendre...
Puis, tout à coup, sans aucune raison, Constant eut violemment le hoquet ! *****
Hic lol !
Mais qu'est ce que c'était encore que cette nouvelle mode ??? "Hic lol" ... Mais ça veut rien dire !
Hic mdr !
Au secours !
Hic PTDR !
Ce fut à cet instant, après que Constant ait fini d'employer toute son énergie à survivre à ce hoquet au terme duquel il avait manqué de s'étouffer, que les manifestations insolentes de son diaphragme cessèrent, comme... ben... comme... oui, disons... comme le deus ex machina d'un auteur paresseux qui n'a pas trop envie de se casser la tronche.
Oui voilà, c'est tout à fait ça !
Bon, il fallait se reprendre !
L'odeur fétide du camouflet planait dans l'air avec une assistance de mauvais aloi. Mais Constant n'était pas du genre à se rendre...
Constant résolu de se concentrer sur le contexte.
Après tout, ce dialecte qui jaillissait de ses lèvres péchait surtout par incongruité. Il fallait donc se réinsérer dans le milieu !
Il se concentra sur le monde qui l'entourait, pris une bonne inspiration, et, l'espace d'un instant, se mit à penser très fort à une tarte aux figues (même si ça, c'était pas forcément super essentiel, mais bon..).
Il s'adressa au bout de bois :
Bonjour, noble baston !
Ah ! Voilà qui était plus présentable. Il avait moins l'air de sortir de nulle part à présent. Il continua son exercice.
Comment voust porcter voust aujourd'huist ?
Hummm, étrange...
Bienct j'esperct ! Moist pourct ma parct, je suicts d'humeurct déslicieucse !
Oulàlàlàlà mais ça n'allait pas du tout ! Qu'est ce que c'était que cette manie débile de rajouter des "s" et des "c" à toutes les sauces ! C'était parfaitement ridicule !
Il devait y avoir eu une erreur dans son insertion...
A présent, Constant était complètement paniqué. Désespéré, même. Il était encore plus ridicule que précédemment !
Il se mit à courir, jusqu'à ce qu'il arrive sur la berge d'une rivière. Il agrippa un seau qui traînait là, le remplit, et se le vida sur le crâne.******
Il resta un moment comme ceci, le seau vide planté sur la tête et les cheveux trempés. Il accrocha la hanse sous son menton, et pouvait à présent se coiffer du récipient sans l'aide des mains.
Il fixait le ciel. Bientôt, il ouvrit les lèvres...
O liquide salvateur ! Toi qui me sauve aujourd'hui de l'enfer de la honte, toi qui éteint de ton étreinte humide le feu corrosif d'un ridicule naissant !
Je te sens à présent qui ruisselle sur mon front comme les perles de lait d'un espoir retrouvé aux senteurs de lilas, comme la fumée d'encens qui drague en volute quand elle se presse sur les murs des persiennes d'orient, comme les raisins volés arrachés à la grappe de la vie que l'on presse aujourd'hui au pilon des soleils trop bien promis, comme le cygne éphémère dans la fraîcheur timide des mares d'automne aux paresseux nénuphars, comme la fleur qui se fane pour avoir peur de vivre, comme l'eau, comme l'oubli, comme l'enfance éternelle auréolée de candeur, catafalque d'un ange des profondeurs chthoniennes.
Ah !!! Voilà ! Ça ne voulait rien dire mais ça allait déjà nettement mieux.
Ce n'était pas suffisant toutefois... Et Constant le savait. Il réajusta le seau, et repris le fil de son propos.
Qui suis-je donc à présent dans ce marasme d'âme ? Dans cette tourbe d'existence aux étants éphémères ? Laquelle est-elle mienne, de ces identités diluées en ces purées d'idiomes ? Quel espace idéal me sépare donc de moi ?
Je l'entends encore trop, l'écho désœuvré de mes paroles solitaires ! Elles se fracassent sur les murs imaginaires en l'absence de compagnes, et rebondissent en avatar sucé !
Qu'est elle donc cette vacuité stérile, cette absence, cette imposture noématique, cette aridité d'être ? Ce vide...
Constant ne put pas finir sa phrase. Un mot lui restait en travers de la gorge.
Il persista :
Ce vide.... Ce vide... on.... Ce vide on...
On... Onto... Ce vide onto...
Et tout à coup vint la délivrance, et Constant hurla de toute sa voix, comme un hurlement de victoire ou un râle d'orgasme :
Ontologique !
Et voilà ! Tout allait mieux maintenant.
Constant était de retour, et s'était à présent réapproprié son identité sémantique.
Il allait à présent pouvoir reprendre le cours d'une vie intelligible, et n'allait pas s'en priver !
_____
* Oui bon là vous allez me dire que c'est débile parce qu'à partir du moment où j'introduis la notion de réveil, il est nécessaire qu'elle soit précédé d'un épisode de sommeil, à partir duquel on conclut nécessairement que, en prenant appui sur le côté suspensif du sommeil concernant la conscience, la référence à une impatience de la part du sujet est complètement grotesque.
Vous irez peut-être même jusqu'à dire que je suis un mauvais écrivain à peine honnête qui n'a pas envie de se biner le haricot pour chercher une histoire crédible. Et vous aurez raison ! Au temps pour moi !
** Vous remarquerez la finesse avec laquelle est délicatement souligné le côté trivial de la scène pour renforcer l'immersion du lecteur.
*** Par opposition avec ceux qui scrutent lourdement les environs, donc.
**** Et ne me dites pas que c'est pas possible !
***** Tout ceci ayant pour but de faire entrevoir au lecteur tout l'aspect poignant que peut revêtir le désarroi de l'homme confronté à l'absurde.
****** Oui, bon, je sais...
Constant Corteis- Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 09/09/2008
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